"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

22 octobre 2015

Saint Colomban - Colloque de Bobbio (21-22 Novembre 2015)



A l’occasion du 14e centenaire de la mort de Colomban, un colloque est organisé à Bobbio (Italie) les 21 et 22 novembre 2015 sous le titre « L'héritage de saint Colomban. Mémoire et culte à travers le Moyen Âge ».

La présence du corps de saint à Bobbio et la vénération dont il faisait l’objet ont représenté un élément essentiel du développement du monastère au Haut Moyen Âge et, en même temps, constitué un important facteur de continuité à travers les siècles. Le colloque se propose de fournir des éléments de réflexion sur la mémoire et sur le culte de Colomban, dans une perspective chronologique qui s’inscrit dans la longue durée et à une échelle qui s’affirme très largement supra-régionale. Les sujets de recherche qui seront abordés lors de ce colloque sont multiples : diffusion et fonction des reliques en Occident au haut Moyen Âge et rôle joué par les monastères colombaniens dans ce phénomène ; diffusion du culte du saint en Europe ;  écrits de Colomban et production hagiographique, de la Vie de Jonas aux textes plus tardifs ; les monastères colombaniens à travers les attestations écrites et les sources matérielles ; les  rapports avec le monastère de Saint- Gall ; la mémoire de Colomban tout au long du Moyen Âge, jusqu’à l’orée des Temps Modernes.

Le programme complet du colloque est téléchargeable en ligne ici.

En marge de nos travaux préparatoires sur « le culte de Colomban en Bretagne » ont été publiés sur ce blog quelques disiecta membra dont l’intégration à notre propre intervention aurait considérablement grossi celle-ci : c’est le cas de nouvelles hypothèses sur l’itinéraire aller du saint,  sur la localisation de l’établissement monastique qui avait accueilli certains de ses compagnons, situé in vicinia Brittonum, sur l’arrière-plan de la fuite de Colomban, de Nantes à la cour de Clotaire, sur la compétition hagio-thérapeutique de Locminé et de Lanmeur avec des sanctuaires dédiés au Précurseur  (ici et ) et sur la translation des reliques de Colomban à Locminé.


André-Yves Bourgès

18 octobre 2015

Jean Baptiste et Colomban : match retour



Dans leurs contributions au colloque de Saint-Jean-du-Doigt, qui s’est tenu en 1999, le regretté Bernard Tanguy, Georges Provost et Fanch Postic[1] ont chacun, selon leur spécialité, rappelé que le culte local du Précurseur présentait l’originalité de voir le saint invoqué, non pas pour la guérison de l’épilepsie, qui est pourtant sa spécialité hagio-thérapeutique, bien attestée à partir du bas Moyen Âge[2], mais pour les affections oculaires[3]. Cartes à l’appui, le médiéviste, le moderniste et l’ethnologue ont montré que cette particularité était répandue dans le territoire situé approximativement au nord d’une ligne Locronan-Plouha, alors que la dévotion habituelle était à l’oeuvre dans le reste de la Bretagne[4] ; mais,  tandis que G. Provost croit reconnaître dans ce que nous qualifierons d’ « exception cultuelle », le témoignage géographique de « l’influence du sanctuaire trégorrois, qui aurait diffusé sa propre spécialisation oculaire aux régions qui le fréquentaient le plus régulièrement »[5], et que F. Postic, qui adopte le même schéma explicatif, souligne que la zone concernée correspond sensiblement à celle où l’on avait recours à l’herbe de saint Jean (ordinairement l’orpin) pour traiter les ophtalmies[6], B. Tanguy hésitait pour sa part à se prononcer, arguant que cette spécialisation oculaire, « connue en d’autres régions de France, n’est pas exclusive dans le secteur précité »[7].

Quoi qu’il en soit, ces trois chercheurs n’ont pas traité de l’origine de cette « exception cultuelle » qui, si l’on retient l’hypothèse d’une diffusion à partir de Saint-Jean-du-Doigt, est donc à rechercher dans l’histoire de ce sanctuaire. Pour notre part, nous sommes tenté d’y voir « une nouvelle manifestation du phénomène bien connu de compétition en Bretagne entre différents saints guérisseurs, ou du moins entre leurs sanctuaires », d’autant que nous disposons d’un témoignage irréfutable à propos d’une telle concurrence entre Jean Baptiste et un autre saint sur le terrain des maladies nerveuses et mentales. Il s’agit d’un témoignage consigné dans  l’enquête en vue de la canonisation de Vincent Ferrier, qui rapporte qu’une femme de Vannes, dont les symptômes étaient ceux de la démence ou de l’épilepsie, avait été amenée successivement au sanctuaire de Locminé puis à celui de Gorvello, situé sur la limité paroissiale entre Theix et Sulniac : démonstration qu’aux yeux de ses contemporains, Colomban et Jean Baptiste pouvaient effectivement fort bien, l’un ou l’autre, amener sa guérison, ce qui, au demeurant, ne s’était pas produit[8].

Or, le culte du Précurseur, suscité au village de Traon Mériadec, alors partie intégrante de la paroisse de Plougasnou, par l’arrivée sur place de la relique insigne de son doigt, probablement dans le premier quart du XVe siècle, ne correspondait pas à une dévotion ancienne, comme cela était le cas à Gorvello, possession des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem depuis le XIIIe siècle au moins[9]. Il fallait donc que ce culte nouveau vînt s’insérer dans le « paysage dévotionnel » local, principalement formé des deux sanctuaires lanmeuriens de Notre-Dame et de Saint-Mélar : à ceux-ci était adossé ce que nous pourrions désigner comme un véritable « complexe hospitalier »[10], qui fut longtemps le seul en Bretagne à recevoir des personnes atteintes de troubles nerveux ou mentaux et dont le saint protecteur, patron de la chapelle du lieu, n’était autre que Colomban. On ne sait pas à qui l’on doit la fondation de cet établissement, ou plutôt de ces établissements successifs : aux bénédictins de Saint-Jacut[11], ou aux Hospitaliers possessionnés à Locquirec[12], ou bien à l’une des lignées de la noblesse locale, tels les Du Parc dont apparemment un membre revendiquait au XVe siècle d’être le « protecteur bienveillant » de l’hôpital[13].

Quoi qu’il en soit, la dévotion qui s’exerçait sur place à l’endroit de Colomban, dont la spécialité était concurrente de celle de Jean Baptiste, pouvait constituer un empêchement sérieux au développement du culte de ce dernier ; d’où notre hypothèse que c’est une autre fonction hagio-thérapeutique du Précurseur qui aura été localement privilégiée, avant de connaître une diffusion sur une large partie du duché « par le biais de chapelles-satellites, selon un procédé dont l’histoire des pèlerinages bretons démontre clairement l’efficacité dans le cas de Lorette, de Saint-Servais de Maastricht ou même de Sainte-Anne d’Auray ou Guingamp »[14].


André-Yves Bourgès


[1] J.-C. Cassard (éd.), Saint-Jean-du-Doigt des origines à Tanguy Prigent. Actes du colloque (23-25 septembre 1999), Brest, 2001 (Kreiz 14, Etudes sur la Bretagne et les pays celtiques) : B. Tanguy, « Le culte de saint Jean-Baptiste et l’implantation templière et hospitalière en Bretagne », p. 137-168 ; G. Provost, « Saint-Jean-du-Doigt, haut lieu du Trégor occidental : le pèlerinage du XVIe au XVIIIe siècle », p. 279-299 ; F. Postic, « Quelques aspects particuliers des feux de la Saint-Jean en Basse-Bretagne », p. 307-323.
[2] La plus ancienne attestation paraît celle d’une charte de 1350 citée par Du Cange dans son glossaire s.v. morbus.
[3] Saint-Jean-du-Doigt des origines à Tanguy Prigent, respectivement p. 156-157, 283-284 et 313.
[4] Ibidem, respectivement p. 158, 283, 311.
[5] Ibid., p. 284. Cette hypothèse figurait déjà dans la thèse de doctorat de l’auteur : voir la version publiée sous le titre La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, 1998, p. 63.
[6] Ibid., p. 313. Cette zone avait été précédemment mise en évidence par le même auteur, « La Saint-Jean en Finistère. Richesse et gravité d’un rituel », Ar Men, 8 (avril 1987), p. 44-61.
[7] Ibid., p. 156-157.
[8] A.-Y. Bourgès, « Hagiothérapie et démonologie dans le diocèse de Vannes au XVe siècle : Colomban, Jean Baptiste, Vincent Ferrier et le cas de possession de la femme de Mathurin Gaultier », Hagio-historiographie médiévale (15 juillet 2015) [en ligne :] http://www.hagio-historiographie-medievale.org/2015/07/hagiotherapie-et-demonologie-dans-le.html   (consulté le 15 juillet 2015). 
[9] Son nom est mentionné dans la pseudo-charte ducale en leur faveur datée 1162, dont les matériaux, mis en œuvre au XIIIe siècle, sont beaucoup plus anciens : B. Tanguy, « Le culte de saint Jean-Baptiste et l’implantation templière et hospitalière en Bretagne », p. 146 et 167.
[10] C’était du moins indiscutablement son apparence au XVIIIe siècle, comme l’a souligné A. Favé dans des notes communiquées à la Société archéologique du Finistère et publiées dans le Bulletin, 25 (1898), p. 195  : « Sur un espace de 1400 mètres, la localité n’était qu’un ensemble de constructions hospitalières : l’hôpital proprement dit, l’hospice des vieillards, et au centre, sur les bords d’un fort ruisseau qui dévale sous l’église paroissiale, deux corps de bâtiment aux murs épais, aux portes et fenêtres solidement grillagées, contenant encore vingt loges, tant en bas qu’à l’étage supérieur. Le Gouverneur de l’hôpital, grand et notable personnage, habitait un manoir à proximité ».
[11] L. Le Guennec écrit en 1915, dans le volume des actes du 4e Congrès marial breton de 1913, p. 449, à propos du prieuré de « Notre-Dame de Kernitroun » : « Les moines qui le desservaient créèrent à Lanmeur, dans le cours des âges, divers établissements de  bienfaisance, un hôpital dédié à saint Colomban, plus tard destiné à enfermer les fous agités de la région, une léproserie, au lieu dit Laourou (les lépreux), un autre hôpital de pèlerins sur la route de Lannion ».
[12] C’est d’ailleurs dans un mémoire daté 1444 du commandeur de la Feuillée, Palacret (dont dépendait Locquirec), Maël et Loc’h que le toponyme est attesté pour la première fois  sous les formes Loquirec et Locqueret : voir J. Laurent, Un monde rural en Bretagne au XVe siècle : la quevaise, Paris, 1972, p. 282 et p. 291.
[13] E. Pinçon, 500 ans d’histoire à l’hôpital de Lanmeur, Lanmeur, 1998, p. 12. Cette indication n’est malheureusement pas sourcée.
[14] G. Provost, « Saint-Jean-du-Doigt, haut lieu du Trégor occidental : le pèlerinage du XVIe au XVIIIe siècle », p. 284.

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