"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

30 août 2015

Homme de foi et homme de science : disparition du Père Marc Simon, moine et historien de Landévennec





  
De toutes les chevilles ouvrières du colloque de Landévennec de 1985, celle dont le rôle essentiel a été constamment souligné par tous n'est autre que le Père Marc Simon, que nous appelions Frère Marc, moine de l'abbaye, qui vient de quitter la vie terrestre le samedi 29 août 2015, à l'âge de 91 ans

L'importance de ce colloque n'est plus à démontrer :  appelé, par l'ampleur de ses travaux, à véritablement refonder les études historiques bretonnes, pour ce qui concerne le Haut Moyen Âge, nous y entendîmes entre autres voix, celles de Hubert Guillotel, François Kerlouégan, Louis Lemoine, Bernard Merdrignac et Bernard Tanguy.  

 
La contribution de Frère Marc, moins visible, devait se révéler considérable dans la préparation scientifique et matérielle de la manifestation, dans la rédaction et la publication préalable d'une histoire du vieux monastère breton - ouvrage qui fait encore autorité - dans la capacité à assurer, avec le concours des autres moines de l'abbaye, le bon fonctionnement de ces trois jours, dans l'efficacité
d'un travail d'édition soutenu, puisque aussi bien les actes du colloque furent publiés dans l'année qui suivit.


 L'intelligence, vive, profonde, de Frère Marc donnait un tour extraordinaire aux discussions dans lesquelles il entrainait ses interlocuteurs, subjugués par son charisme  : intelligence du coeur, marquée par sa bienveillance et son humanité, illuminée par sa foi et par son ouverture aux autres ; intelligence de l'esprit, aiguillonnée par une curiosité toujours en éveil. Autant dire que ces qualités, pour ne pas dire ces vertus, ont attiré à Frère Marc des disciples qui l'ont entouré de leur respect, de leur amitié, voire de leur affection. Lui s'étonnait qu'on pût le considérer comme un Maître ; mais quoi de plus évident pourtant, d'autant qu'il convient d'ajouter cum grano salis que son physique et sa physionomie n'étaient pas sans rappeler, aux dires de certains fans de la saga de Star Wars, celle de l'iconique Maitre Yoda.







D'autres, plus méticuleux, donneront la liste des travaux de Frère Marc : outre l'histoire de l'abbaye dont nous avons parlé, il est l'auteur de très nombreuses contributions dans la Chronique de Landévennec, ainsi que de travaux qui ont paru dans les actes de différents colloques, consacrés notamment aux anciennes abbayes bretonnes (Saint-Mathieu-de-Fineterre, Sainte-Croix de Quimperlé), mais aussi à des personnalités bretonnes comme Arthur de la Borderie.





    
Nous n'aurons garde d'oublier la disponibilité de Frère Marc à l'égard des chercheurs venus chercher à la bibliothèque bretonne de l'abbaye de Landévennec l'ouvrage introuvable ailleurs et dont il connaissait de mémoire l'emplacement exact. C'est sous sa bienveillante attention que nous passâmes quelques quinze jours en ces lieux l'été 1986, explorant sous sa conduite les rayonnages chargés
d'ouvrages : quinze jours pluvieux, paraît-il, dont nous n'avons gardé qu'un souvenir lumineux !


André-Yves Bourgès 


Addition du 2 septembre 2015 :
En 2004 les amis de Frère Marc lui avaient offert un volume de Mélanges, intitulé Corona monastica, accessible en accès libre depuis juillet 2015 sur OpenEdition Books en cliquant ici. L'avant-propos (par François Kerlouégan) et l'introduction (par Louis Lemoine et Bernard Merdrignac) apportent un éclairage amical sur la personnalité et la carrière de Frère Marc.
 (Les photos de Frère Marc sont de J. Hascoët)







08 août 2015

La translation des reliques de Colomban à Locminé



Pour expliquer la présence à Locminé des reliques de saint Colomban, nous disposons du court récit, tardif et incontrôlable, de leur translation, tel qu’il figure dans la seconde édition de l’ouvrage d’Albert Le Grand sur les saints de Bretagne, donnée en 1659 par Guy Autret de Missirien[1] :

« XX. Les reliques de S. Colomban ont estée apportée [sic] en Bretagne au grand contentement de toute la Province, car, longtemps après sa mort, un de nos ducs, revenant de Rome, passa à Boby et, ayant trouvé tout ce beau monastère désert de religieux, emporta avec luy ce sacré dépost et le plaça avec beaucoup de respect dans la ville de Locminech, vulgairement dite Locminé, au diocèse de Vennes » [2].

Il convient de préciser que l’auteur de ce texte n’est pas Albert Le Grand, mais un prêtre du diocèse d’Avranches, Julien Nicole, dont Autret de Missirien s’était adjoint les services. Les commentateurs n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier les résultats de la collaboration de J. Nicole, dont les sept notices[3] n’apportent effectivement rien à la renommée de cette édition ; mais elles ont le mérite, s’agissant en particulier de Colomban, d’apporter des éléments dont le Père Albert réclamait, une vingtaine d’années auparavant, qu’on les lui fournît[4]

On notera qu’un seul élément factuel (la présence de reliques de Colomban à Locminé) est à l’origine de l’ensemble du récit, dont au demeurant la formulation recèle des équivoques :
-          Est-il question de tout ou partie des reliques ?
-         S’agit-il d’un de ces furta sacra dont la littérature hagiographique médiévale est remplie, ou le duc de Bretagne avait-il reçu ces reliques ?
-      La vie conventuelle avait-elle cessé à Bobbio, ou les moines résidaient-ils temporairement en un autre lieu que l’abbaye ?
-        Enfin, la venue du prince sur place doit-elle être considérée comme une simple étape sur son itinéraire ou comme une destination à part entière ? 

On a donc affaire à un texte à la fois imprécis et hyperbolique, avant tout destiné à magnifier le sanctuaire de Locminé. Pour ce faire, J. Nicole a eu recours à des sources locales, dont il nous a gardé la liste : outre les leçons du bréviaire de Vannes, sans doute celui de 1630, il a utilisé celles du bréviaire de Brélidy, qualifié « vieil », « escrit en lettres goltiques », et du « bréviaire propre pour le jour de sa feste, conservé à Locminech ». Ces deux derniers ouvrages ont malheureusement disparu, rendant leur contrôle impossible. Toutefois, en acceptant, avec la prudence que requiert ce type d’approche, de considérer le récit en question comme une sorte de palimpseste de la tradition locale, il n’est peut-être pas inutile, afin de procéder à son examen, d’objectiver ses différentes composantes en les dégageant du schéma narratif de l’hagiographe, comme il se voit dans le résumé suivant :

-          1. Les reliques de Colomban sont à Locminé,
-          2. Où elles furent déposées par un duc de Bretagne.
-          3. Longtemps après la mort du saint,
-          4. Le duc, de retour d’un voyage à Rome,
-          5. Passant par Bobbio,
-          6. L’abbaye étant vide de toute présence monastique,
-          7. Avait emporté les reliques de Colomban.

*

(1) (2) Le culte du saint à Locminé et sa spécialité thérapeutique sont attestés depuis le milieu du XVe siècle au moins, terminus ad quem qui nous ramène effectivement à la période ducale. L’hypothèse qu’un duc de Bretagne ait fait montre d’un intérêt particulier à l’égard de Locminé est parfaitement recevable : Geoffroi 1er, en particulier, se préoccupa, au début du XIe siècle, de la restauration du monastère local. Cet établissement, situé dans la paroisse de Moréac (Loch-menech in *Moriaco olim situm)[5], avait été abandonné par ses religieux, à l’instar de celui de Rhuys, suite aux incursions des Vikings. Les deux communautés ayant, semble-t-il, partagé le même destin durant leur exil, le duc avait ordonné la restauration conjointe de ces deux maisons et en avait confié le soin à l’abbaye de Fleury, dont l’abbé, Gauzlin, envoya sur place en 1008, à la demande expresse de Geoffroi, un moine connu pour sa sainteté, le breton Félix[6]. Cependant, pour des raisons dont l’hagiographe-chroniqueur gildasien, sans doute lui-même issu de Fleury, a rendu compte[7], mais en faisant montre d’un parti-pris qui discrédite une grande partie de son propos, c’est Rhuys qui devait faire l’objet de toutes les attentions des commanditaires et des exécuteurs de la restauration, permettant ainsi à ce monastère de recouvrer, avec son ancienne splendeur, sa dignité abbatiale ; en revanche, celui de Moréac, ou plutôt de Locminé (Moriacensi… coenobio, quod est Locmenech) – dont le nom est explicitement glosé locus monachorum[8] – fut réduit à l’état de prieuré et rattaché à Saint-Gildas : si l’on ignore tout de son histoire ancienne, à l’exception du dramatique épisode scandinave, le patrocinium du Sauveur, que Locminé partageait notamment avec l’abbaye de Redon, est sans doute la marque de son imprégnation carolingienne, en même temps qu’un possible indice de son importance au sein du réseau monastique ancien. C’est dire que l’hypothèse d’une dépendance précoce à l’égard de Rhuys, défendue par certains auteurs, nous apparaît assez improbable : il faut peut-être plutôt envisager que de tels liens, si jamais ils existèrent à haute époque, aient pu s’exercer dans le sens contraire, ou du moins que les abbés de Locminé eurent un temps sous leur contrôle le monastère de Saint-Gildas[9].

*

(4) (5) Geoffroi est le seul duc de Bretagne dont on peut être assuré qu’il pérégrina à Rome[10]. L’époque de son voyage est connue avec assez de précision, peu de temps après l’arrivée en Bretagne du moine Félix et les débuts de la restauration des monastères de Rhuys et de Locminé, que l’hagiographe-chroniqueur place dans le courant de l’année 1008[11]. Ce genre de visite au Saint-Siège de la part d’un « prince territorial » revêtait différents aspects, dont deux au moins peuvent se rapporter à notre propos. 

Premièrement, il faut considérer qu’à cette même date, Gauzlin, dont l’intérêt pour les monastères bretons était manifeste et qui, comme on l’a vu, soutenait avec constance les efforts de Geoffroi dans sa volonté de restauration de la vie monastique locale[12], se trouvait confronté à l’abbaye de Fleury aux intrusions de l’ordinaire du lieu, Foulque d’Orléans, lui-même soutenu par son métropolitain, Liétry, archevêque de Sens[13]. Ce conflit, dont la durée et l’issue demeuraient incertaines, s’ouvrait sous de fâcheux auspices pour Gauzlin, car une assemblée de prélats, requise d’en juger, lui avait donné tort et prononcé son excommunication ; son propre demi-frère, le roi Robert, jusque-là son allié dans les difficultés rencontrées par l’abbé de Fleury principalement à cause de sa naissance illégitime, paraissait cette fois enclin à prendre le parti des évêques de son domaine[14]. Le seul recours possible était donc à Rome ; mais encore fallait-il que la cause y fût portée par un procureur de grand renom et de haute dignité. Or, c’était évidemment le cas de Geoffroi, « valeureux dans le maniement des armes, qui tenait la monarchie de Bretagne dans sa totalité » (in armis strenuus, qui totius Britanniae monarchiam tenuit) [15]. En second lieu, il faut se souvenir que l’exil des moines, au temps des incursions des Vikings, s’était accompagné d’un exode général des reliques[16] : à Rhuys, l’hagiographe-chroniqueur, qui écrit vers le milieu du XIe siècle, s’efforce de nous convaincre qu’une partie de celles de Gildas, supposée avoir été dissimulée au moment du départ des religieux, avait été miraculeusement retrouvée à l’époque même où il travaillait ; cependant, il est bien obligé d’avouer que l’essentiel avait été emporté en Berry, en même temps que celles de Patern de Vannes et d’autres saints[17]. En tout état de cause, au moment de sa restauration le monastère de Rhuys était donc dépourvu de reliques, ce qui vaut également pour celui de Locminé. Le Saint-Siège pouvait apparaître à nouveau comme la solution, eu égard à la grande quantité des reliques romaines et au prestige qui s’attachait à une donation faite par le pape ; mais, là encore, il était souhaitable, si une telle requête devait être portée devant ce dernier, qu’elle le fût par un demandeur puissant, à qui l’on ne manquerait pas de confier en conséquence des reliques de premier plan. Or, c’était incontestablement le cas de Geoffroi qui, en plus de sa stature de  « prince territorial », pouvait également se prévaloir de son alliance solide et durable avec le duc de Normandie[18] et de son appartenance au cercle de la fidélité royale[19].

Le pape Jean XVIII prit, sans surprise, le parti de Gauzlin : adressant à ce dernier des paroles de réconfort et lui enjoignant de venir à Rome à la prochaine Pâque, ou d’envoyer des moines pour le représenter ; menaçant d’excommunication Liétry de Sens et Foulque d’Orléans s’ils ne venaient pas sur place à la même date pour se justifier (comprendre : pour se faire admonester) ; promettant enfin à Robert de lancer l’anathème sur le royaume si le monarque tolérait sans agir qu’on s’en prît aux monastères ayant reçu le privilège papal de l’exemption[20]. En revanche, on ne voit nulle part que Jean XVIII ait procédé, pendant son court pontificat, à des distributions de reliques. Cet argument a silentio n’apparaît nullement dirimant ; mais il permet de contourner la difficulté qu’il y aurait à ce que Geoffroi eût reçu du pape des reliques de Colomban, lesquelles assurément n’appartenaient pas au « stock » romain. De plus, si le duc était effectivement reparti de Rome les mains vides, son passage par Bobbio, à sa propre initiative, ou sur les conseils d’un membre de l’entourage papal, avait pu constitué en quelque sorte une seconde chance de se procurer des reliques d’un saint fameux entre tous.

*

 (6) (7) Au voyageur médiéval qui, depuis Rome, suivait la via francigena en direction des Alpes, s’offrait la possibilité, à Pontremoli, d’un raccourci par la « route des abbés », laquelle permettait, à travers la montagne, de rejoindre Bobbio, avant de retrouver, à Pavie, l’itinéraire principal : l’abbaye, que la présence, entre autres reliques, de celles de Colomban, désignait comme un important centre de pèlerinage était ainsi directement accessible à ceux qui parcouraient la via francigena. Décrire, comme le fait le récit traditionnel de Locminé, une abbaye désertée par l’ensemble de ses moines relève manifestement de l’hyperbole, car une telle situation n’a sans doute jamais été connue sur place ; mais, à la date du passage de Geoffroi dans les parages, le monastère qui, depuis les dernières décennies du Xe siècle, connaissait un profond affaiblissement, principalement lié au démembrement de son patrimoine foncier au profit de l’aristocratie locale, était, semble-t-il, entré dans une sorte de Dark Age[21]. Déjà Gerbert d’Aurillac, alors à la tête de l’abbaye, se plaignait en son temps de ne pouvoir nourrir ni vêtir ses moines[22] et accusait ses derniers de l’avoir rejeté et abandonné pour se mettre sous le joug de ces nobles prédateurs[23] ; la situation ne s’était pas améliorée sous l’abbatiat de son successeur, Petroald (999-1017), lequel obtint en compensation que fût érigé sur place en 1014 un siège épiscopal. De tels éléments, corroborés par l’apparent déclin de l’activité du scriptorium[24], laissent à penser que l’organisation et le fonctionnement du monastère étaient à l’époque gravement perturbés : voilà qui donne un certain degré de vraisemblance à l’hypothèse d’un prélèvement partiel des reliques de Colomban, accepté, sinon même monnayé par leurs gardiens, au profit d’un demandeur aussi illustre que le duc de Bretagne ; prenant l’un et l’autre la partie pour le tout, le sanctuaire de Bobbio et celui de Locminé auraient par la suite considéré chacun être le détenteur de la totalité des reliques du saint[25].

Geoffroi avait promis à Félix de lui donner des présents en très grand nombre quand il serait revenu de son pèlerinage à Rome, nous dit le chroniqueur-hagiographe[26] : est-ce à nouveau trop solliciter les sources que de conjecturer que de tels présents, ramenés en Bretagne depuis le chef-lieu de la Chrétienté, pouvaient être constitués, au moins pour une partie, de reliques insignes destinées à pourvoir les monastères de Rhuys et de Locminé ? Cependant, le duc trouva la mort durant son voyage de retour[27] : au XVe siècle, Pierre Le Baud, qui attribue à Geoffroi d’avoir également fait le pèlerinage de Jérusalem, raconte comment « une griefve enfermeté » l’ayant surpris « en la voye », il « acouscha malade et mourut en l’an de grace dessusdit mil et ouyt »[28] ; mais, dès la première moitié du XIIe siècle, la légende courait que le duc avait été tué pendant une étape, d’une pierre lancée par l’hôtesse, furieuse qu’une poule de la maison eut été étranglée par le faucon du prince[29]. Quoi qu’il en soit, la dépouille de Geoffroi fut certainement été ramenée en Bretagne, en dépit du récit confus de Le Baud, et d’ailleurs, si l’on en croit la tradition locale, elle aurait reçu sa sépulture au Mont-Saint-Michel, à côté de celle de son père Conan[30] : si tant est que le duc était effectivement entré en possession à Bobbio de reliques de Colomban dont il prévoyait d’enrichir le monastère de Locminé, l’hypothèse la plus vraisemblable est que quelqu’un de sa suite, par respect de la volonté de son maître, ait pris soin de les apporter à leur destination.

*

(3) Enfin, si l’on admet la possibilité que le récit traditionnel de Locminé renvoie à des événements qui se sont déroulés en 1008, il s’agit là d’une date qui peut être effectivement décrite comme se situant longtemps après la mort de Colomban.

*

Nous nous sommes efforcé, au prix de nombreuses hypothèses dont nous espérons qu’elles n’apparaîtront pas trop insuffisamment fondées, de reconstituer le palimpseste de la tradition colombanienne qui avait cours à Locminé au début de l’époque moderne. Cette tradition – qui ne doit pas résulter d’une forgerie tardive, auquel cas le faussaire aurait cherché, par des indications précises, à lui donner un « effet de vrai » – pourrait avoir conservé le souvenir d’événements plus anciens qu’il nous semble possible, au terme de notre examen, de résumer de la façon suivante :
-          1. Les reliques de Colomban sont à Locminé,
-          2. Où elles avaient été déposées conformément au souhait de Geoffroi, duc de Bretagne.
-          3. En 1008, presque quatre siècles après la mort du saint,
-          4. Le duc, de retour de son voyage de Rome,
-          5. Passant par Bobbio,
-          6. A l’époque où l’abbaye souffrait d’une grande désorganisation,
-          7. Avait obtenu des moines chargés de leur garde des reliques de  Colomban.

André-Yves Bourgès


[1] A. Le Grand, La vie, gestes, mort et miracles des saints de la Bretagne armorique, … reveu, corrigé et augmenté… par Messire Guy Autret, chevalier, sieur de Missirien et de Lesergué, Rennes, 1659.
[2] Ibidem, p. 748 (orthographe conservée, accentuation et ponctuation actualisées). La leçon Boby était assez répandue sous la plume des hagiographes de l’époque moderne : on la trouve notamment dans les ouvrages du minime Simon Martin (1595-1653), qui figurent explicitement au nombre des sources de cette notice. 
[3] Il s’agit des Vies de sainte Osmane et des saints Béat, Colomban, Marcoul, Paterne, René et Secondel ; une huitième notice consacré à un certain Guingaloc, avatar de saint Guénolé, a paru dans la 3e édition de l’ouvrage d’Albert Le Grand, en 1680.
[4] Parmi les saints dont Albert Le Grand indique dans la première édition de son ouvrage, ne pas avoir trouvé les Vies, figure en effet « S. COLOMBAN gist à LOK-MENEKH, Diocese de Vennes, celuy peut estre dont parle Gregoire de Tours, Hist. Franc. l.II. c. 36. » : il s’agit de la Chronique du pseudo-Frédégaire, qui, dans le passage correspondant, s’est en fait contenté de reproduire un extrait de l’œuvre de Jonas.
[5] « Chronicon Ruyense », édit. Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire… de Bretagne, t. 1, Paris, 1742, col. 150 : nous avons corrigé la cacographie Mariaco.
[6]  « Gildae vita et translatio », édit. F. Lot,  Mélanges d’histoire bretonne (VIe-XIe siècle), Paris, 1907, p. 462.
[7] Ibidem, p. 466.
[8] Ibid., p. 461.
[9] F. Lot, Mélanges d’histoire bretonne, p. 245, n. 2.
[10] B. Pocquet du Haut-Jussé, Les Papes et les ducs de Bretagne, Essai sur les rapports du Saint-Siège avec un État, 2e édition, Spézet, 2000, p. 26-27, mentionne également Hoël et Alain Fergant ; mais les témoignages irréfragables font défaut à leur sujet.
[11] « Gildae vita et translatio », p. 463.
[12] Ce soutien s’est en effet étendu au monastère de Redon : voir la « Vita Gauzlini », par le moine André de Fleury, édit. L. Delisle, Mémoires de la Société archéologique de l’Orléanais, 2 (1853), p. 289.
[13] La chronologie de l’affaire est assurée : voir Ch. Pfister, De Fulberti Carnotensis episcopi, vita et operibus, Nancy, 1885, p. 59-63.
[14]  Ch. Pfister, Études sur le règne de Robert le Pieux, Paris, 1885 (Bibliothèque de l'École des hautes-études, 64), p. 316-317.
[15] « Gildae vita et translatio », p. 462.
[16] H. Guillotel, « L’exode du clergé breton devant les invasions scandinaves », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 59 (1982) p. 269-315.
[17] « Gildae vita et translatio », p. 461-462. Le passage qui contient ces détails a fait l’objet de nombreuses discussions sur son éventuel caractère d’interpolation, ou à tout le moins de réfection du texte original : question importante, mais sans importance ici.
[18] A. de la Borderie, Histoire de Bretagne, t. 3, Paris-Rennes, 1899, p. 3.
[19] « Translatio sancti Maglorii », édit. H. Guillotel, « L’exode du clergé breton… », p. 315. C’est peut-être à l’occasion de son voyage à Rome que, passant par Paris, Geoffroi rencontra le roi et lui prêta le serment de fidélité et d’assistance.
[20] « Vita Gauzlini », par le moine André de Fleury, p. 284-287.
[21] L’expression figure explicitement dans l’article de M. Aceto, A. Agostino, V. Bianco, F. Crivello, A. Giaccaria, F. Porticelli, « An interdisciplinary, non-invasive study of ten manuscripts coming from the San Colombano abbey in Bobbio », Proceedings  of the 9th International Conference on NDT of Art, Jerusalem Israel, 25-30 May 2008 [en ligne :] http://www.ndt.net/article/art2008/papers/142Aceto.pdf.
[22] J. Havet, Lettres de Gerbert (983-997), Paris, 1889 (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire), p. 2 : (à l’empereur Othon) « Sed cum videam monachos meos attenuari fame, premi nuditate, tacere quomodo potero ? ».
[23] Ibidem, p. 14-15 : (aux moines de Bobbio) « … Pastorem deserendo abjecistis, colla tyrannis sponte subdidistis ». 
[24] Voir l’étude citée supra à la note 21.
[25] Ce dont se gausse J.-A.-S.  Collin de Plancy, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, t. 1, Paris, 1821, p. 167 : « Ce saint (puisqu’on l‘appelle ainsi) a laissé deux corps dont on se serait passé, l’un à l’abbaye de Bobbio, sur les frontières du Milanais, l’autre à Locmené, en Bretagne ».
[26] « Gildae vita et translatio », p. 463.
[27] Ibidem ; A. de Courson, Cartulaire de l’abbaye de Redon, Paris, 1863, p. 247 ; « Historiae Northmannorum », par Guillaume de Jumièges, édit. J.-P. Migne, Patrologia latina, t. 149, Paris, 1853, col. 831 : « Porro Goiffredus comes longo post orationis pro obtentu Romam proficiscens, totam Britanniam cum duobus filiis, Alanno videlicet ac Eudone, reliquit sub ducis advocatu. Qui peragratis sanctorum locis, in repatriando praeventus morte diem obiit ».
[28] P. Le Baud, Chronicques et Ystoires des Bretons, édit. Ch. de la Lande de Calan, t. 4, Nantes, 1922, p. 8.
[29] « Historia Sancti Florentii Salmurensis » édit. P. Marchegay et E. Mabille, Chroniques des églises d’Anjou, Paris, 1869, p. 261 : « Qui Gaufridus, nobilitate, viribus et armis praeditus, Romanum pro oratu itercarpens, cujusdam matronae hospitium ingressus est, cujus accipiter mulieris gallinam invadens occidit. Unde a tumultuosa muliere caput lapide percussus, sua re disposita, mortuus est ». Cette anecdote est à l’origine de l’attribution par Th. Hersart de la Villemarqué au règne de Geoffroi 1er de la gwerz bretonne intitulée Ar Falc’hon (« le Faucon ») ; mais D. Laurent, « Le carnet de route de La Villemarqué et l’historicité du Barzaz-Breiz.  Trois chants contestés : Merlin, le Faucon, les Chouans », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 54 (1982), p. 365-367, a montré que ce chant, dont l’authenticité paraît avérée, doit plutôt être rapporté aux événements de la révolte paysanne antifiscale de 1490.
[30] P. Bouet, « Le Mont-Saint-Michel entre Bretagne et Normandie de 960 à 1060 », B. Merdrignac et J. Quaghebeur (dir.), Bretons et Normands au Moyen Âge. Rivalités, malentendus, convergences, Rennes, 2008, p. 182 ; N. Molines et Ph. Guigon, Les églises des îles de Bretagne, s .l [Rennes], 1997, p. 7.

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