"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

19 février 2011

Les origines de Rainaldus gallicus d’après son sceau


Denier de Langres (XIIe siècle) Cliché CGB Numismatique


Sceau et contre-sceau de l'officialité de Langres (1252).
Collection
de moulages de sceaux des AnF. Cliché mis en ligne par Jean-Luc Chassel


Selon les mauristes bretons, le sceau de Rainaud, évêque de Quimper, représentait en 1245 « un bras tenant une crosse accompagnée d’un croissant et d’une étoille »[1] : malgré son caractère sommaire, on peut inférer de cette description que le croissant et l’étoile étaient placés respectivement à dextre et à senestre, des deux côtés du dextrochère. Le sceau en question est du type de ceux des officialités épiscopales qui « représentent le plus souvent le buste de l'évêque au nom duquel la justice était rendue, ou bien encore une mitre, ou une main tenant une crosse »[2] ; mais il peut être également rapproché de certains sceaux abbatiaux, comme celui dont usait Bernard de Clairvaux avant qu’il ne lui fût volé en 1151[3].
La banalité du motif du dextrochère tenant la crosse, que l’on voit à l’occasion orner également les monnaies épiscopales, a encouragé à en distinguer les multiples représentations par l’adjonction de signes particuliers (étoile, croissant, fleur de lis, lettres de l’alphabet latin, l’Alpha et l’Oméga,…) ; on peut alors atteindre une certaine originalité en fonction de la complexité de la combinaison de ces différents signes. C’est ainsi que le sceau de Rainaud ne présente pas de parenté avec ceux des prélats bretons contemporains ; il ne ressemble pas non plus aux autres sceaux épiscopaux de la même période. En revanche la similitude est manifeste avec plusieurs sceaux ou contre-sceaux abbatiaux (abbayes de Coulombs, St-Bénigne de Dijon, Grosbot, Prully et Vauluisant, sa fille,…) ; mais, s’agissant d’un évêque dont rien n’indique par ailleurs qu’il ait été moine, ou chanoine régulier, il nous semble que cette piste, sans être exclue, ne saurait être privilégiée au détriment de celle qui concerne des institutions séculières.
Notre attention s’est donc portée sur Langres, où, aux XIIe-XIIIe siècles, l’atelier monétaire épiscopal et l’officialité locale ont eu recours eux aussi à la crosse, au croissant et à l’étoile dans le cadre de représentations sensiblement identiques à celle qui figure sur le sceau de l’évêque de Quimper : quand bien même le dextrochère est absent de ces représentations, il n’existe pas à notre connaissance d’autres cas d’une ressemblance aussi manifeste, qui pourrait bien dès lors constituer un indice de premier ordre sur les origines de Rainaud.

C’est le moment de rappeler, avec toute la prudence qui s’impose car nous sommes ici dans le cadre d’une hypothèse au second degré, que l’hagiographe de saint Corentin, que nous suspectons être le même que Rainaud, a beaucoup emprunté aux écrits de Bernard de Clairvaux. Or, les liens de ce dernier avec Langres sont connus et indiscutables, notamment pour des raisons de géographie ecclésiastique ; on sait aussi que Bernard était intervenu avec vigueur à partir de 1137 dans la procédure de désignation de l’évêque du lieu. Certes, les ouvrages de l’abbé de Clairvaux étaient sans doute accessibles en bien d’autres endroits qu’au siège épiscopal[4] ; mais leur présence à Langres à l’époque de Rainaud paraît plus vraisemblable qu’à Quimper.

©André-Yves Bourgès 2011

[1] Dom H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’Histoire… de Bretagne, t. 1, Paris, 1742, col. 925.
[2] M.-M. Quantin, Dictionnaire raisonné de diplomatique chrétienne, contenant les notions nécessaires pour l'intelligence des anciens monuments manuscrits, Paris, 1846, col. 770.
[3] Bernard de Clairvaux a parlé de cette affaire dans ses lettres n° 284 et 298.
[4] On dispose des inventaires des bibliothèques de deux chanoines de Langres au XIVe siècle ; mais, en dépit de l’intérêt que lui témoigne J.-V. Jourd’heuil dans le cadre de ses travaux sur le diocèse de Langres, l’état de la bibliothèque du chapitre cathédral au Moyen Âge central nous échappe encore. La circulation de manuscrits entre Langres et Clairvaux (et vice versa) ne fait cependant aucun doute.

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