"L’Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat, parce que l’Histoire, et au-delà les sciences humaines, est menacée par la posture utilitariste dominante dans notre société, pour laquelle seul ce qui est économiquement et immédiatement rentable est légitime : le reste n’est que gaspillage de temps et de deniers publics. Dans cette situation, l’Histoire médiévale est dans une situation paradoxale puisque s’ajoute à ce déficit général de légitimité des sciences humaines un détournement généralisé du Moyen Âge à des fins variées, jouant tantôt sur le caractère irrationnel et sauvage prêté à la période, tantôt sur la valeur particulière des « racines » médiévales. Le Moyen Âge devient ainsi un réservoir de formules qui servent à persuader nos contemporains d’agir de telle ou telle manière, mais n’ont rien à voir avec une connaissance effective de l’Histoire médiévale."

J. MORSEL, L'Histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat... (ouvrage téléchargeable ici).

27 décembre 2007

Un an après : Gwenaël nous manque plus que jamais...

Le faible hommage rendu à Gwenaël Le Duc sur le présent blog voici tout juste un an ne saurait rendre compte de la perte énorme causée aux études bretonnes dans des domaines variés, notamment dans celui de l'hagio-historiographie médiévale, par la disparition prématurée de ce chercheur passionné et passionnant. Dans le dernier Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Bernard Merdrignac a mobilisé son talent pour dire avec des mots simples, vrais et pudiques toute l'affection et l'admiration qu'il éprouvait pour son collègue. Ce n'est pas trahir un grand secret que de révéler que cette affection et cette admiration étaient réciproques...

Personnellement, c'est dans sa dimension érudite, dans les lettres qu'il nous adressait hebdomadairement, dans les "à-côtés" des colloques,... que Gwenaël nous manque le plus : parce que cette dimension était chez lui tout empreinte d'humanité et d'humour, ce dont tant d'autres se trouvent être malheureusement à jamais privés.

Signalons que des Mélanges devraient paraître prochainement à la mémoire de notre ami si cher.

André-Yves Bourgès


07 décembre 2007

Billet d'humeur


Notre époque est celle de la facilité : les publics auxquels on souhaite faire passer des messages culturels (étudiants, apprenants,...) sont désormais en situation d'exiger que l'on s'adapte à leurs besoins et ne cherchent pas nécessairement, en ce qui les concerne, à faire l'effort d'adaptation nécessaire. Or, nous considérons que le métier d'historien est exigeant et nous ne pouvons le concevoir sans une certaine déontologie, qui ne permet pas cette réduction au plus petit dénominateur commun (le "truc", la "recette", l'anecdote, voire l'anecdotule).

Ainsi, "raconter l'Histoire" aux gens sans prendre le temps et les moyens de leur expliquer que la façon même dont on raconte l'Histoire au travers des sujets retenus est lourde de conséquences sur la représentation idéologique de l'objet historique auquel on s'intéresse, c'est, pour nous, renoncer à entreprendre une véritable démarche d'historien ; et c'est la menace qui, nous semble-t-il, pèse désormais sur les études historiques bretonnes, par exemple, quand ces dernières s'attachent à des sujets comme la venue des Bretons insulaires en Armorique, le Tro Breiz, l'hagiographie, le mythe arthurien, etc.

En effet, la "marchandisation" touristique qui est associée à plusieurs de ces sujets requiert la caution des historiens mais enlève par avance à ces derniers le droit de procéder à la nécessaire mise au point historiographique qui viendrait fort à propos relativiser la pertinence des problématiques concernées. "Dites-nous qu'Arthur est vivant ! réclamaient déjà les Bretons du XIIe siècle à leurs chroniqueurs ; mais ne nous dites point pourquoi nous voulons absolument croire qu'Arthur est vivant !" : l'attente de leurs descendants du XXIe siècle ne paraît pas être très différente...


André-Yves Bourgès

18 novembre 2007

Un autre saint « politique » : saint Gurval, évêque d'Aleth, honoré à Guer

Le dossier de saint Gurval, honoré à Guer, est particulièrement pauvre : une courte vita en trois leçons transmise par le Propre malouin de 1615, dont la matière avait été empruntée à un légendier plus ancien (ex veteri legendario macloviensi), lequel a fourni également les biographies de saint Malo, de saint Méen, etc. On peut voir, à partir de son texte sur saint Sulin (il s’agit en fait de saint Sulian/Suliau), comment travaillait l’auteur du Propre de 1615 : on conserve en effet une autre version de la vita de ce saint, qui figurait dans le bréviaire malouin imprimé de 1537, et qui, au témoignage du chanoine Doremet en 1628, provenait « de notre vieil légendaire ». Les deux compilateurs ont à l’évidence abrégé le même texte ; mais le choix de celui de 1615, à l’opposé de celui de son prédécesseur, est de privilégier la dimension galloise de cette vita et de passer sous silence ce qui se rapporte aux relations de son héros avec saint Samson : sa « fascination » (comme l’a écrit G.H. Doble) pour la légende de saint Tysilio va même jusqu’à lui faire substituer la date de la fête de ce dernier à celle de la tradition continentale.


Vie et culte de saint Gurval

Saint Gurval, quant à lui, est présenté comme l’ancien condisciple (sous la férule de saint Brandan) et l’immédiat successeur de saint Malo sur le siège d’Aleth ; mais, ayant lui-même remis sa charge épiscopale entre les mains de son archidiacre Coalfinith, il s’en va, en compagnie de plusieurs prêtres, à la recherche d’un certain monastère de son diocèse dans le pays de Guer (quoddam suae diocesis monasterium in pago Guernio constructum expetiit, pluribus secum ductis sacerdotibus). Sur place, il continue d’être l’objet de la vénération des populations, attirées par sa sainte conversion ; mais « souhaitant effacer le souvenir de son épiscopat » (episcopatus sui notitiam deferere cupiens), il laisse à Guer douze prêtres et s’éloigne avec les autres vers un autre lieu non nommé. Finalement, il s’installe dans une « caverne » (in speluncam), où il accomplit de nombreux miracles. Pas de détail sur sa mort, ni sur sa sépulture, ou encore sur ses éventuelles reliques.

On peut bien sûr reconnaître ici, au moins partiellement, les effets de la méthode de travail du compilateur de 1615, dont nous avons dit quelques mots ; mais il nous semble surtout que la source à laquelle il a puisée devait être singulièrement pauvre pour amener chez l’écrivain cette remarque en forme d’aveu sur le fait que c’est le saint qui aurait lui-même chercher à effacer toute trace de son épiscopat.

Que savons nous par ailleurs de saint Gurval et de son culte au Moyen Âge ? Il était honoré à Guer depuis 1124 au moins, car l’église du lieu est alors placée sous son vocable, et quelques reliques en sont conservées sur place dans un reliquaire de la première moitié du XVe siècle, en bois recouvert de plaques d'argent partiellement dorées.

Sur la face antérieure sont appliqués et maintenus par trois clous, huit phylactères gravés en lettres gothiques dont les inscriptions viennent identifier les reliques de plusieurs saints que des ouvertures permettent d'entrevoir :

- 1/ DE RELIQUIS BEATI BARTHOLOMEI ;

- 2/ DE RELIQUIS S (ANCT) I GURVALI ;

- 3/ DE RELIQUIS S (ANCT) I ANDREE ;

- 4/ DE RELIQUIS S (ANCT) I NICOLAI DE BAR (I) ;

- 5/ RELIQUIE DE COLOMNA UBI DOMINUS NOSTER HESUS CHRISTUS FUIT FLAGELLATUS ;

- 6/ DE LAPIDE SEPULCHRI DOMINI NOSTRI JESU XRI ;

- 7/ RELIQUIE SANCTA APOLINIA ;

- 8/ DE MM RELIQUIE SANCTARUM VIRGINUM ET MARTIRUM EUFEMIE DEROTHE TECLE ET C (A) TARINE.

Les abbayes de Saint-Méen et de Montfort, dans le diocèse de Saint-Malo honoraient quant à elles, à la date du 7 juin pour la première et du 6 juin pour la seconde, un saint Gudual (Guidgali episcopi ou sancti Gutuuali episcopi et confessoris), personnage à qui elles reconnaissaient la qualité d’évêque en conformité avec sa vita. Or, sur la base d’une vague homophonie, les chanoines malouins chargés au XVe siècle de la refonte du sanctoral diocésain ont intégré le nom de saint Gurval dans la liste des évêques d’Alet à cette même date du 6 juin, comme en témoigne la notation Sancti Gurvali episcopi Macloviensis dans le calendrier du missel manuscrit diocésain ; cependant, la vita de saint Gudwal, personnage par ailleurs largement honoré dans le diocèse de Vannes, ne présente aucun point commun avec la vita de saint Gurval, personnage exclusivement honoré à Guer, dans le diocèse de Saint-Malo, mais aux confins du Vannetais.


Epoque et circonstances de la composition de la vita de saint Gurval

Il ne nous paraît pas improbable en conséquence que l’auteur de la vita de saint Gurval se soit attaché à doter l’église de Guer d’un « mode d’emploi » de son reliquaire (formule que nous empruntons à B. Merdrignac) ; et se soit appuyé précisément sur l’existence de reliques d’un saint inconnu par ailleurs pour doter saint Malo d’un et même de deux successeurs ad hoc : si l’on retient l’hypothèse que l’introduction de saint Gurval dans la liste épiscopale de Saint-Malo date du XVe siècle, il s’agissait peut-être de défendre à Guer les intérêts du diocèse, menacés par le projet d’érection d’un évêché à Redon (1449).


André-Yves Bourgès

17 novembre 2007

La dimension arthurienne de saint Armel

Armel est un saint spécial : comme beaucoup de saints bretons, il s’agit d’un « saint de papier » connu par son seul dossier hagiographique « vertical », dont les pièces les plus anciennes ne paraissent pas être antérieures au XIIIe siècle ; mais, confondu volontairement à Locquenvel avec saint (Gu)Envel par les moines de Saint-Jacut, qui le connaissaient sans doute comme l’un des prélats revendiqués par le siège dolois, il a connu tardivement un développement assez marqué de son culte, dont témoigne en particulier la belle église de Ploërmel, dans un contexte qui, semble-t-il, l’associait au souvenir du roi Arthur, et dont on peut encore observer les prolongements à la fin du XVe siècle, jusque dans l’entourage du roi d’Angleterre Henry Tudor.

De son côté, le renforcement du rôle joué par Ploërmel dans « l'appareil d'Etat » breton parait trouver un écho dans le développement de la légende arthurienne, dont le succès en Bretagne était jusqu’alors assez peu manifeste : c’est en effet de l’époque des règnes successifs de Jean II et d’Arthur II, dont on connaît l’attachement pour Ploërmel, que date la composition de deux textes arthuriens. Le premier texte, en langue vernaculaire, est intitulé Artus de Bretaigne : conservé notamment par un manuscrit enluminé du XIVe siècle , qui figurait déjà dans la Bibliothèque royale aux années 1530, cet ouvrage plusieurs fois réécrit, connu sous différents titres (Le Petit Artus de Bretaigne, Artus le Petit, Artus le Restoré ou encore Artus et Jehannette), eut un grand succès, comme l’attestent ses nombreuses éditions anciennes, ainsi que les allusions de Christine de Pisan et la traduction anglaise donnée vers 1500 par John Bourcier, lord Berners. L’auteur du texte initial qui, à l’opinion de S.V. Spilsbury, « faisait vraisemblablement partie de l’entourage du duc de Bretagne », a mis en scène, dans un environnement familier qui comprend entre autres l’abbaye de la Joie d’Hennebont et le château de la Forêt en Languidic, Artus, le fils du duc Jehan — lui même présenté comme appartenant à la parenté de Lancelot du Lac — et de la fille du comte de Lancastre, transposition fantaisiste de la situation familiale du futur Arthur II. Ce dernier s’est vu ainsi promu au rang de héros romanesque, voyageant jusqu’au château de l’Autre Monde, dans le cadre d’une intrigue marquée par des exploits chevaleresques extravagants, ce qui bien sûr explique en partie le succès durable de ce texte.

Composé sous le règne du duc Arthur II, un second texte aujourd’hui perdu, écrit en latin, dont Pierre Le Baud nous a conservé le titre traduit en français (Livre des faits d’Artur le Preux, autrement nommé le Grand) et dédié au duc Arthur II, n’est plus connu que par Le Baud qui, dans la seconde version de son Histoire de Bretagne, en fait explicitement mention à de nombreuses reprises et même le cite en plusieurs occasions, là encore en français. On a depuis retrouvé partiellement le texte latin correspondant à ces citations sous forme d’extraits qui figurent dans le carnet de notes d’un érudit breton de la fin du XVe siècle, généralement attribué par la critique moderne à Le Baud lui-même, même s’il est probable que le carnet en question contient des notes qui n’ont pas été prises par le vieil historien breton, mais par des collaborateurs attitrés ou occasionnels.


Les principaux éléments du dossier littéraire de saint Armel

Armel est né chez les Angles, de bonne famille, et est ordonné prêtre.

Il passe en Bretagne continentale et aborde en Léon.

Il se rend d’abord à la cour auprès du roi Childebert, dont il devient le conseiller pendant six ans et opère de nombreux miracles ; avec l’accord du roi, dont il reçoit « deux paroisses désertes en Bretagne » (duas plebes in Britannia desertas) lesquelles portent aujourd’hui son nom, il s’en vient dans le pays de Rennes (adiit in Redoniam) et opère là encore de nombreux miracles : il délivre notamment la région d’un dragon, décrit comme un « serpent énorme » (serpens ingens), qu’il précipite dans la Seiche (l’action est traditionnellement située à Saint-Armel-des-Boschaux).

Il quitte ensuite à nouveau le pays de Rennes pour se rendre « dans la Bretagne déserte » (ad desertam Britanniam), où il opère à nouveau de nombreux miracles.

On le voit par la suite effectuer de nombreux déplacements d’un oratoire à un autre (ex uno ad alium oratorium) ; mais on ne nous dit pas dans lequel le saint reçut l’annonce par l’archange Gabriel de sa mort prochaine, ni où celle-ci intervint.

Au XIIe siècle, on pensait à Dol, qui revendiquait le saint comme l’un de ses prélats, que son corps était conservé à Ploërmel (cujus corpus, in episcopatu Aletensi, apud castrum Ploasmel quiescit).


Vitraux anciens à Ploërmel, à Locquenvel et à Merevale Abbey

Une verrière de l’église de Ploërmel contient les principales scènes de la vie de saint Armel, en 8 tableaux avec inscriptions gothiques au pied :

- 1/ Le saint débarque en Armorique ;

- 2/ Le saint reçoit un message du roi ;

- 3/ Le saint guérit des lépreux et des boiteux dans le palais du roi ;

- 4/ le roi donne congé au saint pour aller délivrer la contrée ravagée par un monstre ;

- 5/ le saint passe son étole au cou du monstre ;

- 6/ le saint précipite le monstre dans la rivière ;

- 7/ le saint guérit tous les malades du pays ;

- 8/ le saint meurt, tandis qu’un ange apporte le message de cette mort.

Le commanditaire de cette verrière pourrait bien être la reine-duchesse Anne en personne (présence d’une cordelière). On cite également le nom de Jean Lespervier, évêque de Saint-Malo (1450-1486), représenté à l’origine dans un petit vitrail à droite de cette verrière et bien reconnaissable aux armes qui ornent le prie-dieu sur lequel le prélat est agenouillé.

Dans la fenêtre centrale de l’église de Locquenvel, six panneaux datés vers 1540, représentent des scènes de la vie de saint Armel, confondu en l’occurrence avec le saint local Envel, ou mieux *Guenvel : dans les deux panneaux du haut, le saint est en costume de laboureur, qui laboure la terre avec un attelage formé par une biche et un cerf, puis passe la herse attelée à un loup en lieu et place de l’âne dévoré par ce dernier. Les quatre panneaux suivants nous montrent le saint en abbé crossé et mitré, que viennent d’abord implorer les parents d’un enfant aux prises avec des loups dans la forêt ; ensuite c’est un condamné à mort qui vient demander l’intercession du saint ; puis des paysans dont la récolte est compromise par les oiseaux ; enfin d’autres paysans viennent à leur tour prier le saint pour qu’il protège leur troupeau de moutons de l’attaque d’un loup. Aucun de ces miracles ne figure dans la vita de saint Armel et ils ont certainement été empruntés à la légende locale de saint *Guenvel ; mais l’identification avec saint Armel est renforcée par la crosse et la mitre attribuées au saint.

A Merevale Abbey (Warwickshire), monastère fondé par la famille Ferrers, comtes de Derby, on peut encore voir dans la verrière de l’aile sud de l’ancienne Gate Chapel (actuelle église paroissiale), une représentation de saint Armel, qui porte la mitre de l’abbé, mais aussi l’armure du chevalier : on suppose que ce vitrail résulte d’un voeu du prétendant Henry Tudor, en 1485, lors de la bataille décisive de Bosworth, à proximité de l’abbaye que le roi Henry VII vint visiter en 1503.


Le culte de saint Armel à la fin du Moyen Âge

Le culte de saint Armel est au centre de trois problématiques différentes, contemporaines (charnière des XVe-XVIe siècles) et qui sont peut-être liées entre elles.

1/ Le nom Armel (arth, « ours », et mael « prince ») présente une incontestable parenté avec celui d’Arthur Ce nom est porteur d’une dimension guerrière à laquelle les biographes du saint ont toujours été sensibles, qui le désignent miles fortissimus ou miles acer semper gerens arma penitenciae : sans exclure la reprise de l'habituel cliché hagiographique du saint considéré comme un « champion de Dieu », c’est peut-être ici l'indication que ces écrivains, qui jouent à loisir sur les mots Armagilus et arma gerens, connaissaient le sens du nom porté par le saint ; mais, au delà de la parenté des deux noms, il existait une relation ambiguë entre Armel et Arthur. C’est la conviction de C. Barber et D. Pykitt, qui s’exprime dans leur ouvrage Journey to Avalon — The Final Discovery of King Arthur (1997) ; si ce travail n’a peut-être pas été conduit avec la rigueur suffisante, P. Galloni, universitaire italien, écrit quant à lui : « Arthmael, il probabile Artù storico ».

Henry Tudor, le futur roi Henry VII, avait baigné dans toutes ces histoires et la mythologie arthurienne lui a également servi au point de vue politique ; d'ailleurs, Henry Tudor avait donné le nom d'Arthur à son fils aîné, qui, s'il avait vécu plus longtemps, serait donc devenu le roi Arthur d'Angleterre (au lieu de son frère Henry, le futur Henry VIII). Le culte de saint Armel en Grande-Bretagne, lié à la dévotion que lui témoignait Henry VII, renvoie toujours à l’image d’un guerrier : c’est le cas dans le vitrail de Merevale Abbey, mais aussi avec la statue qui orne le tombeau du roi à Westminster Abbey, où Armel, sous la robe monastique, porte des gantelets de chevalier.

2/ Mais Henry Tudor, qui n'eut jamais de chance avec la mer (trois naufrages au moins !) a pu également « rencontrer » le culte de saint Armel à Plouarzel, non loin de l'endroit où il avait abordé de manière accidentelle la côte bretonne : si déjà il connaissait ce nom au travers du légendaire arthurien, la coïncidence a dû lui apparaître comme un signe du destin ou comme un geste de la Providence.

3/ Enfin, le bréviaire imprimé de Léon (1516), présente des traits particuliers, qui laissent à penser que les chanoines de la cathédralede Léon ont pu utiliser à l'occasion des matériaux d'origine insulaire. Or, un personnage domine la vita de saint Armel dans sa version léonarde donnée par le bréviaire imprimé de 1516 : il s’agit d’un certain Carencinalis, cousin de saint Paul Aurélien et membre de l’expédition qui voit le passage d’Armel de l’île de Bretagne sur le continent. J. Loth a indiqué qu’il s’agissait là d’une cacographie pour « Carentmail, mieux Carantmail : *Caranto-maglos ».

Cette hypothèse qui dispose qu’Armel et Ténénan auraient ainsi partagé le même maître, puisque Carantmail est donc la forme pleine du nom de Carantec, permet la reprise en compte d’assez nombreux matériaux épars dans l’ouvrage d’Albert Le Grand et plus particulièrement ce qui concerne les prêtres Senan, Quénan et Armen (ce dernier nom pour Armel ?) présentés, ainsi que le clerc Glanmeus, comme les compagnons de saint Ténénan dans la notice de ce dernier ; mais, de surcroît, elle ouvre de nouvelles pistes de recherches sur l’imprégnation arthurienne de ces différentes légendes, car précisément la vita d’origine galloise de Carantec (Carantocus) alias Cernath (Cernathus) [BHL 1562-1563] rapporte une anecdote qui met en scène Arthur, le saint et le dragon, et que passe sous silence la vita de saint Caradec dans le même bréviaire imprimé de Léon. Curieux chassé-croisé, dont Armel paraît ici le témoin impuissant !


André-Yves Bourgès

Le dossier hagio-historiographique des Rohan (1479) : de Conan à Arthur et de saint Mériadec à saint Judicaël

On prête à Mgr de Quélen, alors archevêque de Paris (1821-1839), la sortie suivante dont l’humour (involontaire) a assuré la fortune : « Non seulement Jésus-Christ était fils de Dieu, mais encore il était d'excellente famille du côté de sa mère ».

De même pourrait-on dire des Rohan qu’ils revendiquaient à la fin du XVe siècle, non seulement d’être les agnats de Conan Mériadec, mais encore de descendre du roi Arthur par leur ascendance maternelle de Léon.

Ces deux revendications sont explicitement exprimées dans le fameux mémoire que Jean II vicomte de Rohan a produit en 1479 au soutien de ses prétentions de préséance aux Etats de Bretagne contre le comte de Laval. La première fait référence à « l’office et légendaire dudit glorieux S. Meriadec avec celui de S. Goury », conservé « entre autres lieux en l’église cathédralle de Vennes », ainsi qu’aux traditions locales. La vita de saint Mériadec qui, dans son état actuel, ne remonte pas, nous semble-t-il, au-delà des années 1430-1440 et fait partie, avec les vitae de saint Gobrien et de saint Gonéri, d’un dossier « horizontal » dont la proximité textuelle et thématique a été depuis longtemps remarquée, signale en effet la filiation entre Conan Mériadec et le saint ; en outre, elle présente ce dernier comme le parent du vicomte de Rohan, dont Mériadec sollicite et obtient l’octroi de 3 foires franches à Noyal-Pontivy. Cet épisode occupe une place disproportionnée dans la vita, ce qui est peut-être l’indication que le texte dont nous disposons a fait l’objet de coupures au moment de son introduction dans les livres liturgiques tardifs qui nous l’ont transmis. Sont ainsi absents de la vita, sans qu’on puisse affirmer formellement qu’ils faisaient partie de l’ouvrage original, deux épisodes figurés dans les fresques du XVe siècle de l’église de Stival, qui retracent en 12 tableaux la vie de Mériadec : l’un de ces tableaux nous montre le saint en oraison devant deux stèles christianisées ; un autre nous fait assister à l’imposition par Mériadec de sa cloche à main sur la tête d’un personnage agenouillé. Dans les deux cas de figure nous avons incontestablement affaire à la représentation de gestes et pratiques d’une religion « populaire » qui peut-être déjà n’avaient pas trouvé leur place dans le texte original de la vita ou que l’abréviateur de cette dernière a omis, sinon délibérément occultés ; mais il est d’autres éléments que le texte dont nous disposons ne nous a pas transmis et qui se lisent dans le mémoire de 1479 :

- Le roi Conan avait trois fils dont l’aîné fut saint Mériadec, le second le successeur de son père à la principauté de Bretagne et le troisième le vicomte de Rohan ; ainsi la filiation entre le vicomte de Rohan et Conan Mériadec est-elle définitivement explicitée et clarifiée.

- Les armes de Bretagne, que portaient originellement les trois fils de Conan Mériadec, furent changées miraculeusement pour celles de gueules à macles d’or « sur le corps et fiertre de mondit seigneur S. Mériadec » : c’est donc pour obéir à cette injonction miraculeuse que les Rohan avaient adopté leurs armes actuelles.

- Les macles se trouvent figurées dans les pierres et arbres aux alentours du lieu et manoir de Perret, où saint Mériadec « fit sa résidance et mena vie contemplative et solitaire pour la pluspart de ses jours » : à l’instar des éclogites de Plounévez-Lochrist qui, comme l’a montré L. Chauris, jouent un rôle dans un épisode de la vita de saint Hervé, l’hagiographie populaire s’appuie ici sur la géologie pour conforter la tradition relative à saint Mériadec, dont elle situe la principale résidence au manoir de Perret, dans la demeure même des Rohan (il s’agit en effet du manoir des Salles, aujourd’hui en ruines, qui avait lui-même succédé sur place à une villa gallo-romaine).

La seconde revendication concerne l’ascendance arthurienne des vicomtes de Rohan, ascendance dont le mémoire de 1479 fait remonter l’origine aux seigneurs de Léon, dont les Rohan avaient hérité les biens par le mariage de Jean Ier de Rohan avec Jeanne de Léon :

« Duquel Roy Artus sont issus les prédécesseurs dudit vicomte [de Rohan], seigneurs d’icelle seigneurie de Léon, par droicte ligne, ainsy qu’il est tout notoire au païs et en la partie ».

D’ailleurs, ajoute l’auteur du mémoire, il est également prouvé par « auctorité et voix publique du païs, que mesmes par les livres contenans par histoires la vie et gouvernement dudit Roy… », Arthur faisait sa résidence au château situé près de la forêt de Goelforest (c’est-à-dire la Forêt-Landerneau) et « tenoit les chevaliers de la Table Ronde à faire jouxtes, armes et prouesses en certains lieux prez ledit chasteau, comme il appert tout évidemment audit lieu ». Cette description renvoie évidemment à celle que donne son adversaire le comte de Laval dans un mémoire de 1467 où un passage évoque la décoration et les merveilles de la forêt de Brecilien, dont il était le possesseur :

« Item auprès du dit breil, y a ung aultre breil nommé le breil de Bellenton, et auprès d’icelui, il y a une fontayne nommée la fontayne de Bellenton, amprès de laquelle fontayne le bon chevalier Ponthus fist ses armes, ainsi que on peult le voir par le livre qui de ce fut composé ».

Considérant sans doute que les personnages de Conan Mériadec et du roi Arthur ne pouvaient pas fonder à eux seuls la prétention à recueillir éventuellement la couronne ducale, problématique qui sous-tend toute l’argumentation destinée à se voir reconnaître la préséance aux Etats de Bretagne ; et aussi souhaitant combattre le comte de Laval sur son terrain « brocéliandais », où le vicomte de Rohan se trouvait en limite territoriale avec son adversaire, héritier des anciens seigneurs de Gaël et de Montfort, l’auteur du mémoire de 1479 a sollicité le légendier de l’abbaye de Saint-Méen. Si l’on consulte « la legendacie (sic : probable cacographie pour le légendaire) du glorieux sainct Monsieur S. Meen que fonda le Roy saint Giguel près Gael », affirme l’auteur du mémoire, « on trouvera que la seigneurie de Gael n’estoit qu’une Chevalerie », ce qui naturellement ne se peut comparer avec la puissance initiale des Rohan ; mais, c’est l’archéologie qui vient apporter un argument décisif aux prétentions des Rohan : « on peut voir en une grande vitre de l’église de Monsieur saint Méen de Gael, fondée par le benoist Roy de Bretagne Monsieur saint Giguel », ce que l’auteur du mémoire dit être « la plus ancienne fondation d’abbaie et vitre de ce duché », la preuve que les ancêtres du vicomte de Rohan ont porté dans leurs armoiries aux macles « un canton des armes de Bretagne, au haut du côté dextre de l’escu » et qu’il s’agit là de la marque de leur parenté avec la lignée ducale. Saint Judicaël, personnage historique, incontestable roi de Bretagne aux temps mérovingiens, dont la représentation figurait dans les vitraux de la fin du XVe siècle de l’église Notre-Dame-du-Roncier à Josselin, aurait ainsi consacré l’ascendance royale des Rohan lors de la fondation de l’abbaye de Saint-Méen.

Inutile de rappeler qu’en 1479, la fragile continuité dynastique des ducs de Bretagne était représentée par deux enfançonnes, Anne, née en 1477, et Isabeau, née en 1478, dont le vicomte de Rohan s’efforcera en vain d’obtenir le mariage avec ses fils, François et Jean.


André-Yves Bourgès

17 juillet 2007

Deux ans déjà...

Depuis sa création en juillet 2005, notre blog médiévaliste s'est enrichi de 14 contributions et notules, la plupart inédites. Ce relais de publication nous a permis d'entrer en contact avec de nombreux nouveaux collègues, que nous invitons bien vivement à nous rejoindre dans le cadre du "laboratoire d'hagio-historiographie médiévale" que nous ambitionnons de créer au sein de la blogosphère.

André-Yves Bourgès


09 juillet 2007

En tournant les pages du Bréviaire imprimé de Léon de 1516 : Quelques réflexions sur l'hagiographie bretonne à la fin du Moyen Âge

Nous mettons en ligne, sans son appareil critique, le texte de l’intervention que nous avons donnée lors du colloque annuel du CIRDoMoC en juillet 2007.

Exercice périlleux que nous tentons aujourd’hui devant cette assemblée, puisqu’il s’agit pour nous, qui ne sommes pas liturgiste, ni bibliologiste, de parler d’un ouvrage qui est un livre liturgique et qui, au demeurant, n’est plus disponible dans sa totalité : le bréviaire imprimé de Léon de 1516 est en effet réduit à sa partie d’hiver, laquelle est seulement connue par deux exemplaires, dont l’un de surcroît est incomplet d’un premier cahier de huit feuillets.

Au surplus, et nous en dirons quelques mots en introduction, l’approche d’un tel ouvrage ne peut se révéler vraiment efficace que dans le cadre d’une prise en compte du corpus des autres livres liturgiques bretons contemporains, manuscrits et imprimés, dans leur ensemble, comme il peut s’observer, par exemple, dans deux études de l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’hagiographie armoricaine médiévale, M. Bernard Merdrignac, sur les bréviaires de Bretagne des XVe-XVIe siècles ; or, nous n’avons pas eu les moyens de consulter cet ensemble et d’ailleurs l’économie de notre modeste travail ne nous aurait pas permis, le cas échéant, de donner le compte rendu d’une telle étude comparative.

Quoi qu’il en soit, les premières remarques sur l’hagiographie bretonne au bas Moyen Âge qu’il nous semble possible de tirer à la suite d’un examen rapide du bréviaire de Léon de 1516 — reconstitué pour l’essentiel grâce aux travaux antérieurs qui ont utilisé, voire publié certains des textes hagiographiques contenus dans cet ouvrage — ne nous paraissent pas totalement dépourvues d’intérêt et nous souhaitons en conséquence vous les présenter aujourd’hui.

Le corpus des livres liturgiques bretons des XVe-XVIe siècles

Il est patent que la connaissance de ce corpus n’a pas encore été renouvelée depuis les travaux fondateurs de l’abbé François Duine, dans les premières années du XXe siècle. Certes, M. Jean-Luc Deuffic a, tout au long des trois dernières décennies, beaucoup contribué à l’avancement des études bibliologiques bretonnes, notamment pour ce qui concerne les livres liturgiques ou paraliturgiques. Cependant, on attend encore un véritable travail d’exploitation systématique de ce corpus : bien souvent en effet, les auteurs se contentent de souligner sa relative pauvreté et les destructions, les démembrements qu’il a subis ; mais en même temps, à l’exception du missel-pontifical (avec trait d’union), dont la commande est attribuée au prélat Michel Guibé et qui fut composé vers 1481-1482 — ouvrage servi, il est vrai, par la remarquable qualité de sa facture — aucun de ces livres liturgiques , à notre connaissance, n’a vraiment fait l’objet d’une étude détaillée, présentant son contexte, son contenant et son contenu.

Il nous faut donc à chaque fois ou presque, revenir à l’abbé Duine et à ses deux études fondatrices sur le corpus des livres liturgiques bretons : « Bréviaires et missels des églises et abbayes bretonnes de France antérieurs au XVIIe siècle » et « Inventaire liturgique de l’hagiographie bretonne », parues l’une et l’autre dans le Bulletin de la société archéologique d’Ille-et-Vilaine, respectivement en 1906 (tome 35, p. 1-219) et 1922 (tome 49, p. I-X et 1-292), puis sous forme de brochure ; mais, sans vouloir rabaisser le mérite de l’abbé Duine, rappelons que ce remarquable chercheur avait eu un précurseur en la personne de dom François Plaine. Celui-ci, érudit brouillon et souvent critiquable dans ses travaux d’édition, de transcription ou de traduction de vitae de saints, fut un incontestable acteur et même sans doute le véritable « moteur » du renouveau des études hagiographiques bretonnes à partir du début des années 1880 : dom Plaine s’est alors engagé, avec sa maladresse coutumière mais avec une détermination sans faille, dans une véritable « course à la publication hagiographique » contre son vieil adversaire Arthur de la Borderie : compétition dont M. Philippe Guigon a su, avec beaucoup d’à-propos et d’érudition, démonter les rouages. Ainsi, après une première note, assez sommaire, sur les « Anciennes liturgies de la Bretagne » parue dans le Bulletin de la société archéologique du Finistère en 1886 (t. 13, p. 22-25), dom Plaine avait-il donné, dès l’année suivante, dans la même revue (t. 14, p 112-127), le résultat de ses « Recherches bibliographiques sur les livres liturgiques de Bretagne antérieurs à saint Pie V et au XVIIe siècle », qui forment l’embryon des catalogues publiés par l’abbé Duine : en tout état de cause, les différents bréviaires des diocèses bretons s’y trouvent déjà répertoriés, de même que le missel-pontifical de Michel Guibé (p. 117), dont il a été question plus haut.

Les livres liturgiques de Bretagne attendent donc d’être véritablement « redécouverts » : c’est notamment le cas du bréviaire manuscrit autrefois conservé dans la bibliothèque du petit séminaire de Tréguier, dont l’étude devrait être réalisée conjointement avec celle du bréviaire imprimé de Léon de 1516, car la similarité, pour ne pas dire la similitude de leurs calendriers est manifeste. Au demeurant, l’interdépendance de plusieurs textes hagiographiques du bréviaire imprimé de Léon avec les leçons correspondantes dans le bréviaire « gothique » de Quimper, ainsi que la parenté de plusieurs offices de ce dernier avec ceux qui figurent dans le bréviaire manuscrit dit de Landerneau, du XVe siècle, suggèrent qu’il conviendrait de procéder à une étude en commun des quatre ouvrages concernés.

Un sanctoral bas-breton

De plus, l’examen des calendriers des livres liturgiques bretons des XVe-XVIe siècles, d’après les différents éléments publiés par dom Lobineau et l’abbé Duine — dont plusieurs ont été récemment synthétisés par M. Deuffic et mis à disposition de la communauté érudite par le biais d’un publication en ligne — permet de mettre en évidence, au-delà des spécificités de chaque Église locale et, en même temps, au-delà de la forte « identité bretonne » qui fait s’agréger cet ensemble documentaire à l’échelle du duché, l’existence d’un véritable sanctoral de la Basse-Bretagne, dont l’empreinte liturgique a marqué durablement et profondément les diocèses de Tréguier, de Léon et de Quimper.

D’après les premiers relevés de M. Deuffic, on peut estimer que les seuls saints « nationaux », c’est-à-dire ceux dont le culte était célébré dans la Bretagne entière, sont au nombre d’une douzaine : saint Gildas, saint Guénolé, saint Yves, saint Turiau, saint Samson, saint Guillaume, saint Armel, saint Paul Aurélien, saint Magloire, saint Melaine, saint Malo et saint Corentin ; soit deux novi sancti, qui ont fait l’objet d’une canonisation officielle, trois abbés et sept évêques dont trois pour le seul siège de Dol. Sans entrer à nouveau dans le débat, sinon même la polémique relative au fameux Tro Breiz et au culte médiéval des Sept-Saints de Bretagne, ajoutons d’emblée à cette courte liste saint Brieuc et saint Tugdual, dont les cultes probablement l’un et l’autre d’origine cornouaillaise, furent acclimatés dans le nord de la Bretagne, comme l’a montré M. Bernard Tanguy, et peut-être seulement à l’époque tardive de l’érection des évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier ; mentionnons également saint Patern et même saint Clair, dont la renommée avait effectivement atteint le diocèse de Tréguier au XVe siècle. Et enfin, pour faire bonne mesure, finissons d’étoffer cette liste avec les noms de saint Méen et de saint Maudez. Au total, c’est moins d’une vingtaine de saints bretons véritablement « nationaux » qu’il faut compter, sur un total de plusieurs centaines.

A l’inverse, il existe des saints dont le culte est profondément enraciné à l’échelon local, sans diffusion ou presque hors de leur diocèse d’origine, et dont les noms sont confinés au calendrier de leur Église : citons, à Quimper, deux supposés évêques du lieu, saint Alor, dont le nom est peut-être une cacographie pour Florus, et saint Alain, dont la vita, conservée notamment dans le recueil connu sous le nom d’Obituaire de Saint-Méen, constitue un démarquage impudent de celle de saint Amand ; à Tréguier, saint Efflam, saint Briac ; à Saint-Malo, saint Enoga, saint Aaron et saint Ideuc, etc.

Enfin, les calendriers de certains livres liturgiques présentent entre eux un grand nombre de recoupements voire de similitudes, qui nous paraissent ressortir à l’existence de sanctoraux communs : ainsi, tandis que les livres liturgiques de Quimper, Léon et Tréguier indiquent la fête de saint Dérien au 8 février, ceux de Saint-Brieuc, Saint-Malo et Dol donnent pour cette date celle de saint Jacut ; au 13 février, c’est saint Gongat qui est marqué aux calendriers de Quimper, Léon et Tréguier, tandis que ceux de Saint-Brieuc, Rennes et Vannes indiquent saint Lézin, évêque d’Angers, dont il faut souligner qu’il s’agit depuis 1227 au moins, du patron de la paroisse de Dolo dans le diocèse de Saint-Brieuc ; saint Goulven est fêté au 1er juillet à Quimper, à Saint-Pol-de-Léon et Tréguier — ainsi qu’à Rennes — mais à cette date Saint-Brieuc, Saint-Malo et Dol fêtent saint Lunaire ; le même type de remarque peut encore être fait, toujours à partir des calendriers des livres liturgiques de Quimper, Léon et Tréguier, à propos des fêtes de saint Jaoua, saint Pieran, saint Senan, sainte Juvelte, saint Caradec alias Carantec, saint Ronan, saint Hervé (ou mieux Hoarvé), saint Ténénan, saint Tégonnec, saint Mélar, saint Ternec, saint Conogan, saint Goëznou, saint Guenhaël, saint Iltud, saint Houardon, … qui font ainsi partie de ce que nous appellerons, faute d’une désignation plus adaptée, le « sanctoral bas-breton », dont le modèle était peut-être fixé dès le XIe siècle, comme il se voit au travers des litanies du Missel de Saint-Vougay, dont la double origine léonarde et cornouaillaise ne fait pas de doute et où l’on retrouve notamment Dérien, Hervé, Tégonnec, Mélar, Conogan, Goëznou, Houardon, …

Au fait, ne serions-nous pas la victime d’une illusion provoquée par deux phénomènes concomitants : déficit de la documentation, comme il a déjà été suggéré, et paresse intellectuelle des auteurs ou plus exactement des compilateurs de ces livres liturgiques, qui se seront contentés de se copier les uns les autres ? Ou bien, au contraire, cette problématique constitue-t-elle simplement une illustration de la relative méconnaissance du dossier dont nous avons à traiter ici ?

Le bréviaire imprimé de Léon de 1516 et le contexte de sa rédaction

En effet, malgré l’important développement des travaux qu’elle suscite, la littérature hagiographique bretonne est encore mal connue, singulièrement dans ses manifestations les plus tardives : les hagiographes des temps carolingiens et de la période romane ont été en effet relayés au bas Moyen Âge par des abréviateurs, des adaptateurs, voire des traducteurs, dont les différents travaux n’ont pas toujours été pris suffisamment en considération par la critique moderne ; cet état de fait est le plus souvent présenté comme la conséquence du médiocre intérêt littéraire et historique d’une production hagiographique par ailleurs largement tributaire de celles qui l'avaient précédée. Même B. Merdrignac, qui a cherché à comprendre et à éclairer, avec sa sagacité habituelle, mais aussi avec la sympathie qu’on lui connaît pour ce sujet, le sens caché des « sélections, omissions, voire modifications » dans le traitement tardif de la biographie des saints bretons, n’en souligne pas moins, de façon un peu restrictive, que « par définition, les bréviaires abrègent les vitae des saints bretons composées à l'époque romane ».

L’hagiographie bretonne au bas Moyen Âge, littérature de « digest » ou littérature perdue ?

Comment expliquer cette apparente stérilisation de la production hagiographique en Bretagne au bas Moyen Âge, alors que la même époque était ailleurs celle d’une intense prolifération de ce genre littéraire ?

Certes, la guerre de succession dynastique entre les maisons de Blois et de Montfort ne fut sans doute pas la période la plus propice à la rédaction de tels ouvrages, encore qu’il faille peut-être lui rapporter la vita de saint Salomon ; mais qu’en a-t-il été pendant l’immédiat après-guerre où l’on s’efforçait de rebâtir rapidement les monuments endommagés ou détruits à la suite d’actions militaires, en particulier les édifices religieux ; puis, pendant le fameux Âge d’Or du duché qui, tout au long du XVe siècle, en même temps que le développement économique et l'indépendance politique de la Bretagne, a favorisé la création dans les différents domaines de la vie culturelle ? Et, plus encore, qu’en avait-il été avant le démarrage du conflit, dans le contexte de la floraison littéraire du XIIIe et du début du XIVe siècle, dont l’auteur du Livre des Faits d'Arthur se fait l’écho sous le règne du duc Arthur II et dont, selon les dires du poète, le Léon était le centre ?

Ces questions méritent d'autant plus d'être posées que, dès le premier tiers du XVIIe siècle, on se trouve en présence, avec Les Vies des saints de la Bretagne Armorique publiées en 1636 par un dominicain originaire de Morlaix, le P. Albert le Grand, d'un corpus hagiographique (en français) riche de quelques quatre-vingts légendes ; le nombre de saints mentionnés est d’ailleurs beaucoup plus important car nombre d'entre eux n'ont pas droit à un article spécifique et ne font que « traverser » les biographies de leurs confrères en sainteté, par exemple, dans la Vie de saint Goëznou, saint Corbasius, dont le nom est probablement une cacographie pour celui de Gurloesius. Près d’un tiers de ces textes se rapporte à des saints dont les légendes ne sont justement connues que par l'ouvrage en question, ou bien encore à des novi sancti. Quant aux autres biographies données par l’hagiographe morlaisien, elles contiennent souvent des épisodes qui ne figuraient pas dans les vitae anciennes des saints concernés ; et parfois même des informations qui entrent en contradiction avec ces vitae.

Sauf à supposer que tous les éléments nouveaux ou surajoutés de ce corpus documentaire sont les fruits de l'imagination d’Albert Le Grand — ce qui constitue le meilleur moyen, mais pas le plus honnête, d'évacuer la question que nous nous posons — il faut donc qu'il y ait eu, antérieurement à l'oeuvre de ce dernier, un ensemble de traditions écrites et orales, plus ou moins différenciées de celles qui avaient été transmises par les vitae des temps carolingiens et de la période romane. D’ailleurs le dominicain a fait consciencieusement état, pour chacune des légendes réunies par ses soins, des sources auxquelles il a puisé, sources écrites le plus souvent, manuscrites et imprimées, généralement conservées dans des livres liturgiques ou paraliturgiques, et sources orales.

Sources liturgiques de l’hagiographie bretonne

Ainsi la Bretagne était-elle riche encore au début du XVIIe siècle de nombreux ouvrages hagiographiques, à vocation liturgique ou paraliturgique, manuscrits et imprimés, tandis qu’elle en est aujourd’hui presque complètement dépourvue. Il faut sans doute incriminer ici le zèle moderniste de certains membres du clergé et aussi une certaine forme d’incurie de leur part : après avoir taillé sans toujours de discernement dans les textes hagiographiques anciens les leçons des premiers bréviaires imprimés, ils ont aussitôt relégué au fond des bibliothèques de chapitres cathédraux ou abbatiaux, les manuscrits qui contenaient les textes en question ; puis se sont bientôt détournés de ces mêmes bréviaires, quand fut introduite en Bretagne la réforme de saint Pie V. Cependant, cette situation de déficit n’est pas spécifiquement bretonne et les reproches adressés aux membres du clergé de cette province pourraient être étendus à d’autres : dans le diocèse de Sens, par exemple, on peut estimer à « plusieurs milliers de livres » le nombre de livres liturgiques existant à la fin du Moyen Âge. Or (et nous citons M. Pierre Gasnault qui s’est livré à l’étude de ces ouvrages) « une proportion infime est parvenue jusqu’à nous. L’apparition, puis la multiplication des éditions imprimées permet de comprendre la mise au rancart des livres manuscrits. Mais les livres imprimés n’ont pas été mieux traités. L’usure provoquée par un usage quotidien d’une part, les révisions successives, puis l’adoption de la liturgie romaine d’autre part expliquent leur disparition ». Des trois diocèses de Basse-Bretagne, le plus avantagé paraît être paradoxalement celui de Tréguier, sans doute le plus méconnu pourtant en termes de bibliologie liturgique, pour lequel on conserve encore aujourd’hui, outre le bréviaire dont il a déjà été question et le fameux « bréviaire de saint Yves », avec lequel on le confond souvent, une Legenda sanctorum Britanniae ad usum ecclesiae Trecorensis : il semble d’ailleurs que ce recueil, compilé à la fin du XVe siècle, n’a pas été consulté par les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur quand ceux-ci, à la fin du XVIIe siècle, ont collationné les sources hagiographiques de leurs travaux sur l’histoire de Bretagne.

En tout état de cause, dom Lobineau et ses confrères, n’ayant pu mettre la main que sur de rares vestiges des anciens livres liturgiques bretons, ont dès lors été contraints de recourir à des copies antérieures pour se procurer les textes hagiographiques relatifs aux saints bretons : moins celles d’Albert Le Grand, dont une partie subsiste encore aujourd’hui et qu’ils paraissent avoir ignorées, que celles qu’ils ont expressément attribuées au dominicain Augustin du Paz (mort au couvent de Quimperlé en 1631) mais qui ont à leur tour disparu depuis ; également les extraits qui figurent dans un cahier de notes attribué à Pierre Le Baud (mort en 1505), ou bien encore ceux effectués par l’auteur du Chronicon Briocense (à la fin du XIVe siècle).

A part ces copies d’érudits, les bénédictins ont essentiellement travaillé à partir de deux sources pour constituer leur collection hagiographique. La première était constituée par le lectionnaire hagiographique manuscrit de la cathédrale de Tréguier, que certains auteurs à la suite de l’abbé Duine ont parfois qualifié « Grand Légendaire », que les bénédictins pour leur part désignaient indifféremment legendarium ou lectionnarium, et qui lui-même a depuis disparu ; la seconde source des Mauristes est aujourd’hui déficitaire de la moitié : il s’agit du bréviaire imprimé de Léon de 1516, manifestement tenu en grande estime par dom Lobineau et ses confrères.

L’édition des trois chanoines

A qui doit-on le bréviaire imprimé de Léon de 1516 ? Une courte épître dédicatoire au verso du feuillet de titre nous renseigne sur le rédacteur, ou plutôt les rédacteurs du bréviaire, sur leurs intentions et sur les circonstances de la composition de cet ouvrage. Cette dédicace est adressée à l’évêque du lieu, Monseigneur Le Clerc, par un certain Hamon Barbier, dont la carrière ecclésiastique est assez bien connue, car il s’agissait d’un personnage considérable, du moins à l’échelle locale. Hamon Barbier est réputé avoir capté de nombreux bénéfices au premier rang desquels la commende de l’abbaye Saint-Mathieu-de-Fine-Terre. Outre la rectorerie d’une vingtaine de paroisses, ce séculier était chanoine des chapitres de Saint-Pol-de-Léon, Quimper et Nantes : on voit par son testament qu’il fut également chanoine et scholastique de Tréguier ; sans doute avait-il en l’occurrence succédé à son frère, Yves Barbier, lequel était de plus doyen de la collégiale du Folgoët. Enfin, Hamon Barbier exerçait avec constance et application diverses charges dont celles d’archidiacre de Quemenet-Illy et de vicaire général de Léon.

L’homme était cultivé et, docteur in utroque, il avait gardé de l’époque de ses études le goût des lettres latines représentées dans sa bibliothèque par les œuvres de Cicéron, Aulu-Gelle, Quinte-Curce, Perse et Valère Maxime. Cette culture latine, dont la dimension historiographique est manifeste, trouve un écho dans le texte dédicatoire qui ouvre le bréviaire imprimé de Léon de 1516 : « partout dans les textes des historiens », écrit Hamon Barbier, « nous apprenons que, sans aucun doute, les gens de l’antiquité, plus superstitieux que religieux — non seulement les Romains, mais aussi les nations barbares — honoraient avec grand honneur et grande révérence, les dieux de leur patrie (qu’ils appelaient dieux pénates, comme s’ils étaient nés penes nos) et en célébraient les fêtes à chaque année » ; écho encore perceptible quand fut érigée, le 21 avril 1533, dans l’église Saint-Pierre à Saint-Pol-de-Léon, la confrérie des Trépassés, dont l’acte de fondation, rédigé par Hamon Barbier, souligne que les morts, de toute antiquité, firent l’objet d’un culte : « ainsi dans la nation païenne des Scythes, dont Trogue Pompée, et son abréviateur Justin, de même que Valère Maxime ont, entre autres choses, rapporté qu’ils vénèrent les sépulcres des ancêtres à l’égal des autels des dieux ».

Cette inclination « historienne » a renforcé chez Hamon Barbier son souhait de donner un bréviaire à son diocèse : il rapporte qu’en l’absence d’un tel ouvrage, l’office divin, ou mieux dit les heures canoniales, ne sont pas récités convenablement, sinon même pas du tout, en Léon ; et de stigmatiser l’incurie pour ne pas dire l’ignorance de ses prédécesseurs, qui ont négligé de donner un bréviaire, ou imprimé ou manuscrit, à l’usage de l’Eglise locale. Une telle lacune est insupportable « dans un diocèse très célèbre et fort renommé entre les [diocèses] armoricains » (in tam percelebri ac inter Armoricas famatissima diocesi) et c’est pour la combler qu’il livre à l’impression un bréviaire « illustré des légendes de très nombreux saints » (plurimorum sanctorum legendis illustratum), compilation pour laquelle il déclare avoir reçu « le concours de deux chanoines de Léon et non des moindres, maîtres François Le Veyer et Guillaume Fougay » (inter canonicos Leonenses non infimorum, domini quidem Francisci Veyerii et Guillermi Fugerii auxilio collectum). Eu égard à la place donnée à saint Armel dans le bréviaire, soulignons que ces deux chanoines furent l’un et l’autre successivement recteur de Plouarzel.

Si l’on croit Hamon Barbier, il n’existait pas avant l’édition de 1516, de bréviaire, manuscrit ou imprimé, pour le diocèse de Léon : ce qui revient à dire que le bréviaire manuscrit dit de Landerneau du XVe siècle, si son origine et sa datation sont confirmées, constitue une tentative locale, isolée et « officieuse ». Est-ce trop solliciter le texte de l’épître dédicatoire, toute empreinte de fierté léonarde, en supposant l’existence antérieure de bréviaires diocésains à Quimper (imprimé) et à Tréguier (manuscrit), alors que le diocèse de Léon, si célèbre et si renommé en Bretagne, en était démuni, faute aux prédécesseurs du chanoine Barbier « d’avoir pris jusqu’à présent le soin de faire imprimer ou écrire à cet usage un bréviaire selon la coutume de notre église » (qui breviarium secundum communem ecclesie nostre consuetudinem nec imprimi, nec scripto redigi ad hec usque tempora unquam curavere) ?

Mais il est temps d’examiner rapidement le contenu hagiographique du bréviaire imprimé de Léon de 1516 pour s’efforcer de reconnaître quelques unes des sources auxquelles ont puisé ses compilateurs. Surtout, il nous paraît important de s’interroger sur la provenance de certains de ces textes, ou du moins sur la localisation originelle de leurs sources, car, à la suite du chanoine (anglican) Gilbert H. Doble, on s’est souvent interrogé sur le développement à cette époque de possibles échanges littéraires avec la Grande-Bretagne, en particulier avec le Cornwall, échanges renforcés par des pèlerinages venus d’outre-Manche, aussi tardifs que celui de 1537 à Tréguier : le chanoine Doble a insisté, à propos de l’office de saint Sulian tel qu’il figurait dans le bréviaire, sur « les différents efforts des chanoines de Léon pour fournir la biographie d’un saint honoré dans leur diocèse, mais dont on ne savait rien, en l’identifiant avec quelque saint renommé d’Irlande ou de Grande-Bretagne » ; le même phénomène s’observerait dans le cas de saint Sané, identifié avec saint Senan, dont une vita a été conséquemment introduite dans le bréviaire, de même que pour saint Caradec, doté d’une vita adaptée à partir d’un texte d’origine irlandaise selon, comme le souligne à nouveau le chanoine Doble, « la pratique favorite des hagiographes léonards, quand ils ne pouvaient rien trouver au sujet d’un de leurs propres saints, de lui attribuer une Vie irlandaise ».

Les assertions du chanoine Doble ont été prises en compte par Bernard Merdrignac, qui pour sa part, préfère reconnaître, à propos de l’office de saint Sulian, une marque du « respect du rédacteur du bréviaire de Léon pour les anciennes traditions britanniques », quand bien même celles-ci « semblent bien pourtant n’être pour lui que lettres mortes » : il est en effet manifeste que, si le texte du bréviaire a conservé des traditions, depuis perdues outre-Manche, relatives à saint Tysilio, son auteur n’en percevait probablement plus tout à fait la portée. Il en va de même pour ce qui concerne la biographie de saint Caradec, dont les trois courtes leçons dans le bréviaire imprimé de Léon de 1516 [BHL 1560], qui font la part belle à la rencontre en Irlande avec un saint lépreux du nom de Ténénan, démarquent en l’abrégeant de beaucoup, une vita galloise de saint Carantoc et constituent, selon Bernard Merdrignac, « un indice supplémentaire de la curiosité, ou du moins du respect du clergé léonard du bas Moyen Âge pour les traditions panceltiques antérieures » ; cette suggestion pourrait d’ailleurs être étendue au clergé trégorois, comme en témoigne à la date du 16 mai, dans le calendrier du bréviaire manuscrit de Tréguier, la mention sancti Uarandoci : malgré la coquille initiale, nous pouvons y reconnaître le nom de saint Carantec, préféré ici à celui de saint Caradec. Nous y reviendrons.

Saints rois

Observons que les saints rois bretons, dont le culte a pourtant connu un véritable envol aux derniers siècles du Moyen Âge, sont presque complètement ignorés du bréviaire léonard : saint Mélar a son office particulier, mais le père de ce dernier, saint Miliau, qui figure dans le calendrier du bréviaire de Tréguier, fait défaut, de même que les rois « historiques » Judicaël et Salomon. L’absence de ces derniers est d’autant plus remarquable que des traditions ayant cours à la fin du Moyen Âge les rattachaient au Léon et plus précisément à Brest et à ses environs immédiats ; mais ces traditions ne donnaient pas vraiment une image « positive » de la cité du Ponant, ce qui explique peut-être le silence du bréviaire : saint Judicaël aurait ainsi subi de la part des habitants de la région de Brest alors encore païens des vexations et des tortures qui avaient appelé sur toute la population locale l’excommunication par les autorités religieuses ; cette véritable malédiction s’était reportée sur leur descendance et, vers 1475 encore, occasionnait une étrange épidémie dont les Brestois de l’époque demandaient d’être délivrés en sollicitant du Pape la levée de l’anathème qui avait frappé leurs aïeux. L’autre tradition, rapportée dans le Chronicon Briocense, concerne l’assassinat de Salomon près du château de Brest, au lieu que l’on appelle depuis Merzer Salaun, c'est-à-dire le martyrium de Salomon (Salomon rex religiosissimus crudeliter ab impiis apud oppidum quod dicitur Bresta… Unde et locus in quo occisus est, usque in hoc die Merzer Salaun, id est Martyrium Salomonis nuncupatur).

On retrouve Brest également au cœur de la vita de saint Budoc, dont tous les critiques modernes s’accordent à dire qu’il s’agit d’une composition tardive. L’hagiographe fait de son héros le petit-fils d’un certain « roi des Bretons, dans le Léon, que l’on appelait le roi de Brest » (rex Britonum apud Leoniam, qui vocabatur rex de Brest) et auquel était advenue une aventure similaire à celle du roi Caradoc de Vannes dans le Livre de Caradoc : le rôle central de Guinier, épouse du roi de Vannes et amputée d’un sein pour libérer son mari d’un ensorcellement, est ici joué par sainte Azénor, fille du roi de Brest, subissant la même mutilation mais par amour filial, et bientôt la mère du futur saint Budoc ; l’histoire à proprement parler de ce dernier est un résumé assez sec dont le volume ne représente pas le tiers du total de l’ouvrage.

Sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui et qui résulte donc d’un amalgame entre des traditions distinctes, dont celle d’une prothèse de sein en or qui se retrouve aussi dans la légende léonarde de sainte Guen, la mère de saint Guénolé, cet ouvrage est un document littéraire très intéressant qui mériterait une édition critique. Les bollandistes font référence à celle du bréviaire imprimé de Quimper dont ils détiennent l’unique exemplaire subsistant [BHL 1478] : le texte de la vita de saint Budoc y paraît identique à celui du bréviaire de Léon que A. de Barthélemy a publié en même temps que celui du bréviaire de Dol. Il faut mentionner, antérieurement à la traduction partielle qui a paru en 1985, celle que le même érudit avait donnée du texte contenu dans le Chronicon Briocense. L’époque à laquelle a été compilée cette chronique constitue d’ailleurs le terminus ad quem de l’amalgame dont nous avons parlé, soit la charnière entre le XIVe et le XVe siècle ; quant à son terminus a quo, il n’est certainement pas antérieur à la fondation en 1202 de l’abbaye de Beauport, près de Paimpol, comme le conjecturait déjà dom Lobineau.

Evêques de Léon

Nous avons vu que figurent au calendrier les noms de plusieurs saints mentionnés dans un catalogue épiscopal de Léon explicitement allégué par Albert Le Grand pour sa pertinence, en l’occurrence celui qui lui avait été communiqué par Roland de Poulpiquet, sieur de Feunteun-Speur, chantre et chanoine de Léon : il s’agit de saint Goëznou, de saint Goulven, de saint Jaoua et de saint Ténénan, lesquels faisaient d’ailleurs partie du « sanctoral bas breton » dont nous avons parlé. Leur notoriété relative est peut-être liée au fait qu’un membre du clergé léonard, à l’extrême fin du XIIe siècle, a souhaité donner à son Eglise le catalogue épiscopal qui lui faisait jusque là défaut, enrichi des gestes des différents prélats qui s’étaient succédé sur le siège de saint Paul Aurélien.

Les actes de saint Goëznou, copiés sur le bréviaire de Léon de 1516 par les bénédictins et qui ont été publiés par les bollandistes [BHL 3609] d’après leur propre collation de la même source, « sont sans aucun doute apparentés » à la vita de saint Goëznou [BHL 3608], laquelle est d'ailleurs moins une vita qu'un résumé d'histoire de Bretagne et qui nous a été conservée par Pierre Le Baud dans son cahier de notes. En l'occurrence, il est clair que le rédacteur du bréviaire fit exactement le choix inverse de celui effectué par Le Baud : ce dernier, parce qu’il raisonnait en historien, avait seulement retenu de sa source les éléments externes à la biographie du saint, notamment « dédicace, description des lieux, rappel de l'histoire et des héros locaux» ; tandis que l’auteur du bréviaire s’est intéressé aux seuls événements de l'existence de Goëznou, en ne poursuivant pas d’ailleurs au-delà des circonstances de la fondation par le saint d’un monastère à Landa (aujourd’hui la commune finistérienne de Gouesnou). Comme les deux textes ont toute une large partie en commun, il est vraisemblable qu’ils dérivent, au moins indirectement, d’une même source. A. Le Grand a lui aussi consulté cette source, du moins celle à laquelle avait puisé Le Baud ; de surcroît il nous a transmis les différents épisodes postérieurs de la vie du saint — relatifs à son épiscopat, à son décès accidentel à Quimperlé et à la translation de ses reliques — dont ne souffle mot le rédacteur du bréviaire de Léon. Enfin, Albert Le Grand nous rappelle expressément que saint Goëznou avait été omis par tous les catalogues épiscopaux de ce siège, sauf par celui du prieuré de Lochrist, ancienne abbaye, sur lequel Roland de Poulpiquet avait ensuite dressé son propre catalogue.

La vita de saint Goulven a été publiée par A. de La Borderie [BHL 3610] d’après la copie que les bénédictins ont eux-mêmes transcrite à partir des papiers du père Du Paz, lequel avait travaillé sur un ouvrage manifestement plus étendu ; les Mauristes ont ensuite collationné ce texte avec celui des 9 leçons qui figuraient dans le bréviaire.

La vita de saint Jaoua donnée en 1668 par les bollandistes [BHL vacat] paraît quant à elle avoir été reprise de la composition tardive d’Albert Le Grand, par le biais d’une traduction latine due à J. Colgan. On y trouve néanmoins un certain nombre de détails dont on peut supposer qu’ils ont été effectivement empruntés par le dominicain aux sources plus anciennes que celui-ci a alléguées, en particulier les 9 leçons de l’histoire du saint telles qu’elles figuraient dans le lectionnaire hagiographique de la cathédrale de Léon . En revanche, le bréviaire imprimé de 1516 ne donnait pour l’office du saint que les leçons du commun d’un évêque.

Saint Ténénan nous ramène au cœur de la problématique des sources du bréviaire et, en particulier, sur l’hypothèse d’une étape par le Cornwall. A. de La Borderie a publié un court extrait de la vita de ce saint [BHL 7999] : là encore, il s’agit d’une copie réalisée par les bénédictins à partir des papiers de Du Paz, puis collationnée avec les leçons du bréviaire imprimé de Léon.

Le personnage dont il est question dans ce texte n’a en tout cas rien à voir avec celui qui figure dans la courte biographie de saint Caradec : d’abord il n’y est pas question de l’Irlande, mais de la naissance et de l’éducation du saint dans l’île de Bretagne puis de son passage en Bretagne continentale ; ensuite le saint n’est pas affligé de la lèpre et son parcours, qui l’amène de l’ascèse érémitique aux responsabilités épiscopales, correspond à un schéma biographique largement éprouvé, absolument conforme en l’occurrence à celui qui s’observe notamment dans la vita de saint Goulven. Enfin, le personnage porte deux noms, Ténénan alias Tinidor, comme il est indiqué explicitement dès le début du texte ; par la suite, Tinidor est employé par deux fois en lieu et place de Ténénan, ce qui est probablement la marque que, dans la tradition manuscrite de ce texte, un transcripteur a suivi, à un moment, une source qui mentionnait le seul nom de Tinidor. Le problème est donc posé de l’existence de deux saints distincts, Ténénan et Tinidor, éventuellement dotés de deux biographies distinctes, mais dont on peut penser, compte tenu de la parenté stylistique de ces dernières, qu’elles étaient sorties de la plume d’un seul et même auteur. Ténénan était, selon cet hagiographe, le fondateur d’un ermitage nommé en mémoire de lui Lantinidor, dans la vallée de l’Elorn, en un lieu proche de l’endroit où la marée vient remplir le lit de la rivière. Contrairement à ce qui est encore dit parfois, il ne s’agit pas de Landerneau, mais d’un endroit situé un peu plus en aval : Albert Le Grand, qui connaissait les leçons relatives à saint Caradec et la biographie de saint Ténénan alias Tinidor et qui s’est efforcé de concilier l’ensemble sans doute à l’aide de documents depuis disparus, car il désigne constamment Ténénan comme le disciple de saint Karentec, semble pencher pour sa part pour une localisation de cet ermitage avec Illis-Goëlet-Forest, prieuré de Saint-Mathieu de Fine-Terre, aujourd’hui la Forêt-Landerneau, avis partagé par la critique historique moderne ; mais le nom même de saint Tinidor pourrait à l’évidence constituer une réfection relativement tardive à partir à partir d’un toponyme *Nant Enoder, lui-même formé avec le nom d’un saint Enoder, dont l’unique attestation est cornique.

Saint Suliau

La problématique relative à saint Suliau a fait l’objet récemment de deux études particulière : celle du regretté Hubert Guillotel, qui a placé l’histoire des origines du prieuré de Saint-Suliac sous le quadruple éclairage de l’archéologie, de la diplomatique, du droit et de l’hagiographie, et celle de M. Bernard Tanguy qui s’est intéressé à l’ancienneté des cultes des saints Sulien, Suliau et Sulin en Bretagne, soulignant au passage que les noms Suliavus et Sulinus, les plus anciens mentionnés dans les documents liturgiques et hagiographiques, se sont finalement imposés tardivement au détriment de celui de saint Sulian, notamment à Sizun, devenu le chef-lieu léonard du culte de saint Suliau. De fait, c’est saint Sulian dont la vita [BHL vacat] figurait dans le bréviaire imprimé de Léon de 1516 où l’ont copiée les bénédictins bretons, transcription tardive qui a servi à G. H. Doble pour sa propre édition. La vita en question figurait également, avec celles des saints Ronan, Hervé, Ténénan, Mélar, Goëznou et Iltut et la translatio de saint Matthieu dans un recueil hagiographique d’origine léonarde, non localisé avec certitude (Notre-Dame du Folgoët ou Saint-Mathieu-de-Fine-Terre ?) et dont Pierre Le Baud nous a conservé quelques extraits.

Albert Le Grand signale quant à lui avoir recueilli les éléments de sa propre biographie de saint Suliau ou Syliau « des anciens légendaires manuscrits des églises cathédrale de Léon et collégiale du Folgoët qui en ont amplement l’histoire en 9 leçons, conforme à l’original de sa vie, gardé en son église de Saint-Suliau-sur-Rance ». Pour les critiques modernes, la vita du saint résulte donc de la combinaison tardive d’une ancienne biographie rédigée au XIIe siècle à Saint-Suliac et dont une version abrégée était donnée, sous le nom de saint Sulin, dans le bréviaire imprimé de Saint-Malo de 1537, avec un texte hagiographique d’origine galloise relatif à saint Tysilio, qui pourrait avoir inspiré le poème en gallois composé vers 1150 par le célèbre Cynddelw ; mais il reste encore à déterminer les raisons et les circonstances de cette éventuelle combinaison.

On peut en tout cas exclure qu’elle soit l’oeuvre des compilateurs du bréviaire imprimé de Léon, car il ne fait pas beaucoup de doute que cette vita figurait déjà dans le livre liturgique léonard dont Le Baud a eu connaissance, comme il peut se vérifier par les quelques lignes qui en ont été transcrites. Du reste, nous pouvons également nous interroger sur le lieu où aurait pu intervenir ce travail de « refonte » et, aussi bien, tourner nos regards vers Saint-Malo, car, finalement, c’est le bréviaire de ce diocèse qui, en 1537, assimile saint Sulin à saint Tysilio ; mais au fait, sommes-nous vraiment sûr qu’il a été procédé à une telle combinaison de sources ou de textes ? L’abbé Duine le dit, mais attribue cette sorte de cuisine à Albert Le Grand, ce qui est impossible. Le chanoine Doble reprend l’idée à Duine, mais y voit le travail des compilateurs du bréviaire imprimé de Léon de 1516 : là encore, ce n’est pas possible.

Nous adopterons comme conclusion provisoire la constatation de Morfyyd Owen : « Le rédacteur des vies de saint Suliau et le poète gallois Cynddelw dépendaient de la même source d’informations. Sans ce poème, nous n’aurions aucune preuve qu’aucune vita ait jamais existé au pays de Galles. Sans les documents bretons, nous n’aurions aucune idée de la nature de cette vie ». Enfin, relativement à la biographie originelle du saint honoré à Saint-Suliac, nous croyons qu’à l’instar de celle de saint Patern, elle illustrait avant tout les tensions entre Dol et certains de ses suffragants et cherchait de promouvoir l’idée que saint Samson lui-même avait consenti en son temps à reconnaître l’autonomie du siège d’Alet ; de même, ce texte (ou plutôt son palimpseste de 1537) nous semble faire allusion à des conflits avec certains potentes locaux, qui pourraient bien avoir été les membres de la dynastie seigneuriale de Dinan. D’autres indices enfin nous permettent de situer la composition de cette vita sous l’épiscopat de Donoal, probablement à l’initiative de ce prélat et peut-être même sous sa dictée ; mais il ne fait en tout cas aucun doute pour nous que le lieu portait déjà à l’époque le nom de *Saint Siliau, comme l’a bien montré B. Tanguy, dont la forme Sulian (Sulianus), rencontrée dans les chartes de la première moitié du XIIe siècle, pourrait bien simplement transposer la prononciation nasalisée.

Saint Carantec

Nous terminerons ce rapide examen de quelques unes des pages du bréviaire imprimé de Léon de 1516 par saint Carantec (Karentec, comme l’orthographie Albert Le Grand, qui le présente comme le maître de saint Ténénan) dont le dossier hagiographique a fait l’objet d’une étude minutieuse, mais pas assez conclusive à notre goût, par M. André Delalonde. Plusieurs hypothèses de ce chercheur méritent l’attention, notamment celle qui permet d’identifier le saint avec un certain abbé Carantocus, célébré pour son soutien à saint Colomban dans la vita de ce dernier par Jonas de Bobbio : le culte de ce Carantec aurait pu ainsi être introduit en Bretagne par saint Malo revenant lui-même de visiter saint Colomban, car l’on trouve effectivement mention dans l’œuvre hagiographique de Bili d’une « terre de saint Carantoc » apparemment dépendante de la mense épiscopale ; mais ce sont surtout les rapports entre Carantec et Ténénan, présenté comme son disciple dans la tradition hagiographique postérieure à Albert Le Grand, qui peut-être nous permettent d’appréhender le rôle attribué au premier de ces deux saints. Cependant, il faut d’abord nous mettre d’accord sur le nom du saint et les circonstances de la composition de sa vita.

A l’occasion d’une étude spécifique, A. de la Borderie a donné une nouvelle édition de la vita de saint Caradec contenue dans le bréviaire de Léon [BHL 1560] et publié l’extrait de la vita des saints Jacut et Guézennec où apparaît un personnage homonyme.

Or, la vita de saint Caradec proprement dite entretient avec celle, galloise, d’un certain Carantec (Carantocus) alias Cernath (Cernathus) [BHL 1562-1563] dont tout à la fois elle abrège et complète le texte, des liens étroits assez difficiles à démêler : pour A. de La Borderie, le premier de ces deux textes est « un document historique des plus anciens, antérieur au IXe siècle et peut-être au VIIe », maladroitement interpolé au XIIe siècle « pour tenter d’y rattacher la légende, bien plus récente dans sa forme, d’un saint Cernath appelé aussi Carantec, dont le fond diffère essentiellement de celle de saint Caradec ». La critique moderne résumée par B. Merdrignac voit au contraire dans la vita de saint Caradec « un remaniement à usage léonard de la vita galloise ».

Tandis que l’auteur de la vita de saint Carantec raconte une anecdote qui met en scène le célèbre Arthur et que passe sous silence l’hagiographe de saint Caradec, ce dernier auteur rapporte sur l’apostolat de son héros trois épisodes, explicitement localisés en Irlande, que l’hagiographe de saint Carantec a, de son côté, omis : la conversion d’un tyrannus nommé Dulcemius, le miracle de l’arbre lors de la construction du monastère et surtout la rencontre de Caradec avec saint Ténénan, lequel fut en cette occasion miraculeusement guéri de la lèpre. Or, comme nous l’avons dit, depuis la toute fin du XIIe siècle, saint Ténénan disposait d’une biographie léonarde qui le disait originaire de Grande-Bretagne et devenu évêque de Léon. Cette discordance peut s’expliquer de plusieurs manières :

- L’hagiographe de saint Caradec ignorait tout du saint Ténénan léonard parce qu’il écrivait hors du Léon, sinon hors de Bretagne, ou parce qu’il écrivait avant que le culte léonard de saint Ténénan n’eût été ornementé d’une vita, ou encore les deux à la fois.

- Ou bien encore le biographe nécessairement léonard de saint Ténénan a préféré occulter le travail d’un compatriote, parce que l’Irlande avait à son époque passé de mode en Bretagne continentale.

- Ou bien enfin, cette vita de saint Caradec est effectivement dérivée au moins partiellement de la légende galloise de saint Carantec ; mais, comme dans le cas de la vita de saint Patern, cet emprunt correspond au retour en Bretagne d’un certain nombre d’éléments continentaux qui avaient passé originellement sur l’île.

En outre, la popularité du nom Caradec est certaine en Bretagne vers les XIIe-XIIIe siècles, car il était attribué au chef breton qui aurait soumis les Armoricains du pays de Vannes au temps de saint Patern, d’après l’hagiographe, probablement insulaire, de ce dernier ; et dans un « roman » arthurien composé à la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle, le Livre de Caradoc, dont l’un des épisodes a inspiré l’hagiographe de saint Budoc, le personnage principal, marié à Guinier, porte effectivement le titre de roi de Vannes. Mais nous avons vu, et l’argument est presque dirimant, que c’est sous le nom de Carantec que le saint honoré au 16 mai dans le bréviaire imprimé de Léon, l’était à la même date dans celui manuscrit de Tréguier. Nous admettrons donc que Caradec est un lapsus ou bien au contraire une hypercorrection du nom Carantec par les compilateurs du bréviaire de 1516.

Or, un personnage domine la vita de saint Armel dans sa version léonarde donnée par le bréviaire imprimé de 1516 : il s’agit d’un certain Carencinalis, cousin de saint Paul Aurélien et membre de l’expédition qui voit le passage d’Armel de l’île de Bretagne sur le continent. J. Loth a indiqué qu’il s’agissait là d’une cacographie pour « Carentmail, mieux Carantmail : *Caranto-maglos ». Cette hypothèse qui dispose qu’Armel et Ténénan auraient ainsi partagé le même maître, puisque Carantmail est la forme pleine du nom de Carantec, permet également la reprise en compte d’assez nombreux matériaux épars dans l’ouvrage d’Albert Le Grand et plus particulièrement ce qui concerne les prêtres Senan, Quénan et Armen (ce dernier nom pour Armel ?) présentés, ainsi que le clerc Glanmeus, comme les compagnons de saint Ténénan dans la notice de ce dernier.

André-Yves Bourgès



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